Pendant que les affiches des différentes sections du festival tournent le dos, les films font face…
À Cannes rien n’est vraiment anodin. Des journées et horaires où les films sont programmés, au protocole de la montée des marches, tout tient d’une stratégie jusque dans la symbolique. Cette année, la première qui aura sauté aux yeux est le fond commun aux affiches des principales sections.
La concurrence, pur secret de polichinelle, entre la Sélection officielle, la Quinzaine des réalisateurs et la Semaine de la critique, les poussent à marquer leur territoire et leur identité. Pourtant, les trois affiches pour 2022 auront convergé autour d’un même motif.
Pendant que celle de la Semaine projette des images sur un dos nu, celles de la Quinzaine des réalisateurs fond un homme dans un décor, façon caméléon, face contre un mur. L’affiche de la sélection officielle, montre un autre homme, Jim Carrey dans « The Truman show », cette fois-ci de profil mais aussi incrusté façon trompe-l’oeil. C’est le hasard, puisqu’elles ont été conçues indépendamment les unes des autres, qui les a amenées à ne pas arborer de visage. Mais cela raconte aussi une idée commune, celle de tourner le dos, mais à quoi ?
Peut-être à la situation de crise qui s’est emparée du cinéma depuis que celle du COVID a agi comme un accélérateur de particules amplifiant des phénomènes déjà présents. Ou à celle d’une désaffection du public envers le cinéma d’auteur et à la montée en puissance des plateformes.
Reste que ces affiches posent un véritable point d’interrogation. Et rien n’indique si elles sont le symptôme d’un déni du contexte actuel, qui fait forcément tâche dans un festival qui s’est toujours évertué à être un moment festif pour l’industrie du cinéma. Ou si à l’inverse de faire l’autruche, elles indiquent vouloir regarder de l’avant, quitte à ne pas savoir vraiment vers quel horizon.
Étonnamment, ce principe de trompe-l’œil s’est aussi invité dans des films jouant eux aussi sur des paradoxes. Que ce soit l’émouvant « Les huit montagnes », chronique d’une amitié au long cours, faisant entrer dans un format d’image carré, une vision panoramique des sommets du Piémont comme de l’humanité. Ou « Tchaïovski’s wife », évocation d’une relation conjugale forcée, dans laquelle Kirill Srebrennikov écarte peu à peu des enluminures un rien académiques, pour faire de la place à de la démesure formelle. Même James Gray, avec « Armageddon time », dissimule une chronique semi-autobiographique laborieuse dans l’Amérique du début des années 80. Prophétie de l’ultra-libéralisme des années Trump à venir.
Trois films partant du passé pour se pencher sur le présent, assumant justement le regard qui manque aux trois affiches du festival. En indiquant très clairement dans une mélancolie partagée, que le cinéma doit se préparer à faire ses adieux à un état d’innocence s’il veut s’armer pour affronter des lendemains aussi menaçants qu’incertains.