Faux film de zombie, vrai hommage au cinéma, « Coupez ! » risque plus des avis très tranchés que de réveiller les morts.
Usuellement les zombies à Cannes font plutôt leur apparition en fin de parcours, au vu des têtes de décavés des accrédités ayant encaissé dix jours de projections non-stop et des nuits souvent raccourcies. Cette année, les cadavres ambulants ont ouvert le bal hier soir avec la projection en ouverture de « Coupez ! », le nouveau film de Michel Hazanavicius. Enfin pas si nouveau que ça. D’abord parce qu’il s’agit d’un remake d’un rigolo ovni japonais de Shinichiro Ueda : « One cut of the dead ». Ironiquement rebaptisée en français Ne coupez pas !. Cette revisite française en reprend le principe et la structure, soit les mésaventures d’une équipe de tournage réalisant une série Z d’horreur. Mais, « Coupez ! » en chamboule la temporalité, en attaquant par le film en question avant de revenir en flashback sur ses coulisses.
Le film de Shinichiro Ueda était un exercice de style bricolé avec les moyens du bord, l’énergie et les idées palliaient le manque de moyens. La version Hazanavicius a beau ne pas démériter sur ce point, elle pose pour autant la question de savoir d’où on filme. Et même plus, de ce que l’on filme. Au-delà de l’exotisme chez des spectateurs occidentaux, le film original de Ueda avait pour lui d’être cohérent. Que ce soit dans son artisanat, ou sa conscience de s’adresser avant tout à un public de cinéma fantastique prêt à s’amuser avec ses codes.
Si « Coupez ! » n’en reste pas moins personnel, on y retrouve comme dans la plupart des films d’Hazanavicius, un jeu de miroir sur le propre rapport gourmand du réalisateur au cinéma. Il s’imprègne malgré lui d’une sorte d’appropriation culturelle. Par sa nature économique, loin de l’esprit low-budget du film initial. Renforcée par sa présence à Cannes, festival qui n’a jamais su vraiment se débarrasser de son image de gotha du cinéma. Voire à s’extraire pleinement d’un regard condescendant sur le cinéma de genre. La chose étant renforcée par un précédent, à savoir « The dead don’t die ». Autre film de zombie, qui avait aussi fait l’ouverture du festival en 2019, et se démarquait par un regard assez hautain. Et surtout bien plus sinistre que drôle, d’un pur auteur cannois Jim Jarmusch, sur le cinéma d’horreur.
On trouvera d’autant plus audacieux le choix d’exposer « Coupez ! » a un public d’officiels, façons sous-préfète et ministre de la culture. Forcément désarçonnés par une première, et avouons-le interminable, demi-heure de série Z plus vraie que nature et qu’ils risquent de prendre au premier degré. On pourra aussi y voir une éventuelle note d’intention préliminaire de cette 75e édition. Indiquant qu’il est sans doute temps que Cannes, comme une industrie cinéma aux certitudes particulièrement mises à mal par la crise actuelle des entrées, se réinvente, casse ses codes. En attendant, il n’est pas impossible que cette année les premières têtes de décavés sur la Croisette soient celles de la sous-préfète et du public protocolaire, risquant de rire plus jaune qu’à gorge déployée en sortant de cette ouverture aussi courageuse que casse-gueule.