Carton plein pour le cinéma tunisien très présent à Cannes, confirmant le renouveau des cinémas du Maghreb.
Le festival de Cannes est aussi une manière de rebattre les cartes du cinéma. Y compris d’un point de vue géographique. En mettant en avant certains films, le festival prend la température des productions émergentes voire réémergentes. Tout en suivant leurs mouvements quasi tectoniques.
Ainsi, les pays du Maghreb se sont installés dans le radar cannois depuis quelques années. Un peu en 2019, à La Semaine de la critique avec l’Algérien « Abou Leïla » et le marocain « Le Miracle du saint-inconnu », un peu plus l’an dernier quand Nabil Ayouch permettait au Maroc d’accéder à la compétition avec « Haut et fort ». En 2022 c’est la Tunisie qui débarque en force sur la croisette. Deux films : « Ashkal » et « Sous les figues », présentés à la Quinzaine des réalisateurs. Un autre : « Harka », à Un certain regard. Tandis que la réalisatrice Kaouther Ben Hania préside le jury de La semaine de la critique.
Ce n’est même pas un signe, mais bel et bien une tendance : les cinémas du Maghreb connaissent un second souffle. Il se manifeste par la claire apparition d’une jeune génération, désireuse de sortir leurs films de certains stéréotypes, ou de sujets souvent tournés majoritairement vers un public local. Pour preuve, l’appropriation des codes du cinéma de genre. Avec « Ashkal », Youssef Chebbi s’essaie au film noir (voire très noir) en suivant l’enquête de deux policiers sur des meurtres commis à Carthage. Tandis qu’Erige Sehiri avec « Sous les figues », transforme un verger en terrain pour une romance entre ouvriers proche d’un feel-good movie.
Au-delà de leurs fortes qualités respectives, Ashkal et « Sous les figues » ont celle, pas si évidente, d’être exportables. De pouvoir s’adresser à tous les publics. Un principe qui doit aussi à l’apparition, là aussi, d’une nouvelle génération, de producteurs. Tout comme les réalisateurs, ils semblent s’être décomplexés d’un héritage culturel ou traditionnel pesant. Sans doute un effet collatéral, et bienvenu, des printemps arabes.
Reste à savoir si cette vague de fond va pouvoir fleurir plus que bourgeonner. Car dans la plupart des pays concernés, le financement du cinéma reste entre les mains de l’état et des pouvoirs publics. Au Maroc, les fonds sont stables, mais certaines lois restent poussiéreuses. Tandis qu’en Algérie, la fermeture en 2020, soit un an après sa création, d’un secrétariat dédié à l’industrie cinématographique ou la récente mise en place d’une commission, qui ne délivrera les autorisations de tournage qu’après lecture des scénarios ne sont pas très bons signes. De même le limogeage, début mai du ministre de la culture tunisienne ne présume pas que les subventions aux producteurs, en baisse constante depuis plusieurs années, prennent le chemin inverse.
L’autre question centrale restant la capacité à faire exister localement ces cinémas : le Covid n’a pas arrangé les choses. Alors que le parc de salles est chétif (44 salles pour tout le Maroc, 15 en Tunisie, à peine plus de 20 en Algérie), certaines ont définitivement fermé. Paradoxalement, au même moment, des gros groupes étrangers commencent à investir dans la construction de multiplexes. La question étant de savoir si quand ceux-ci ouvriront, ils ne diffuseront pas, comme dans la plupart du monde, majoritairement des blockbusters américains. Mais peut-être que d’ici là, au vu d’un nombre grandissant de projets en cours, c’est ici en Europe que les nouveaux cinémas du Maghreb trouveront la place qu’ils méritent.