La 76e édition du festival de cannes devrait être autant rythmée par les films que par les mouvements sociaux. Sous les pavés, la palme ?
On y est, le grand rituel annuel du cinéma mondial démarre ce soir. Cannes, c’est reparti comme en 40. Quoique, vu la singularité de cette édition, il faudra peut-être revoir la chronologie de cette expression, pour un « c’est reparti comme en 68 », année restée dans les annales comme celle où le festival s’est arrêté en plein envol, rattrapée par les fameux évènements de mai. L’un des invités les plus marquants du cru 2023 risquant bien d’être le réel. Il s’invite rarement dans un festival qui n’aime d’ailleurs pas qu’il lui vole la vedette. La dernière fois, c’était en 2011 avec l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn, improbable parasite des festivités, qui éclipsa les sunlights usuellement braqués sur le fameux tapis rouge.
Si ça arrive cette année, on sera sans doute moins surpris, le climat social étant plus que tendu depuis quelques mois. D’ailleurs, pour éviter que l’hymne usuel du festival, extrait du Carnaval des animaux de Saint-Saëns, ne devienne la farandole des casseroles, les autorités ont fait le nécessaire en interdisant au préalable tout rassemblement dans un périmètre bunkerisant la Croisette. Ça sera sans doute un peu problématique pour un festival hypermédiatisé qui devra peut-être se passer d’images de populace rassemblée devant la montée des marches. Mais ça fera l’affaire des vendeurs ambulants de parapluie (puisqu’en plus d’une météo sociale orageuse, on annonce de la pluie pendant une bonne partie des agapes) qui se mettront à vendre des jumelles. De quoi nourrir le paradoxe de Cannes, festival ultra-immersif, mais qu’il faut toujours regarder à distance pour mieux le comprendre.
Du coup, qui va décrocher la palme cette année, les films ou les manifs ?
Difficile à dire pour le moment, les films vont se dévoiler au jour le jour. Cela dit s’il faudra attendre le 27 au soir pour le palmarès, une certaine vue d’ensemble s’annonce : la compétition semble plus aventureuse que d’habitude en faisant un peu plus de place à des réalisateurs n’ayant jamais eu ses honneurs ou en n’ayant pas peur des embrouilles avec la génération #MeToo en accueillant plus de films signés par des réalisatrices, fortes en gueule, mais pas forcément en phase avec le néoféminisme, de Catherine Corsini à Catherine Breillat en passant par Kaouther Ben Hania ou Maïwenn qui ouvrira le bal ce soir avec son Jeanne du Barry, starring le désormais controversé Johnny Depp. Du côté des sections parallèles, la Quinzaine des réalisateurs, désormais reliftée en plus inclusive Quinzaine des cinéastes, se targue de renouer avec son esprit originel de découvreur/agitateur de talents passés jusque-là sous le radar cannois, au risque potentiel d’une sélection trop arty. Elle taillera pour autant peut-être des croupières à une Semaine de la critique toujours focalisée sur les premiers et seconds films, mais visiblement pour privilégier cette fois-ci les œuvre à sujet et non le renouveau ou l’inventivité formelle. De quoi conforter la montée en puissance ces dernières années de l’ACID et ses films indépendants ? On en reparle dès demain, avec une prise de température tous les soirs, ou presque, à 18 h, mais clairement cette année, dans les salles comme les rues, Cannes sent la bagarre.