Si la jeune garde peine à convaincre, les papys font de la (belle) résistance.
Cannes a ses rituels. Celui du reproche d’y voir figurer en compétition des auteurs plus que reconnus est l’un des plus assidus. Cette année, au dela des cinéastes quasi résidents ( Marco Bellocchio, Wes Anderson, Todd Haynes, Alice Rohrwacher), sont en lice des revenants (Catherine Breillat, Aki Kaurismaki, Wim Wenders), des palmés (Nuri Bilge Ceylan, Nanni Moretti, Hirokazu Kore-Eda, Ken Loach) quand le président du jury, Ruben Ostlund, l’a déjà été doublement. Pour autant, cette édition aura rarement vu autant de nouveaux prétendants – sept- faire leur entrée. On ne se perdra pas sur des conjectures autour de ce choix (films des autres abonnés cannois pas prêts ? Déjà chipés par Venise, grand rival de Cannes ? Vus et pas estimés à la hauteur?) pour faire un comparatif avec la place faite aux toutes jeunes pousses : un seul premier film (Banel & Adama) en compétition, huit à Un certain regard, six à la Quinzaine des cinéastes, quatre à l’ACID et six et demi (Ama Gloria, son film d’ouverture succède au co-réalisé Party Girl) à La semaine de la critique. Soit un contingent massif dont il n’est ressorti, aucune révélation majeure.
En dépit de sa mission de découverte, La Semaine n’a étonnamment pas tiré son épingle du jeu, ses premiers longs métrages ayant fait l’effet d’une mer d’huile, faute d’œuvres sortant des clous coté mise en scène ou inaboutis dans leurs écritures malgré de fortes promesses ( Le ravissement, passant d’une belle étude de personnage meurtri à une banale chronique de fait divers ; Vincent doit mourir au démarrage sidérant avant de s’effondrer après quarante surprenantes premières minutes, Tiger stripes finissant par émousser ses griffes sur un exotisme pop, Sleep rapprochant toujours plus sa vision troublante du couple d’un DTV pour le festival de Gérardmer…). Bilan un peu plus supérieur à la Quinzaine, sans être reluisant, mené par un doublé de road-movies – La grace, L’arbre aux papillons d’or – beaux trips sensoriels toutefois limités à leurs halos hypnotiques, leurs récits s’engourdissants dans une certaine somnolence. Du côté d’Un certain regard, en dehors d’How to have sex (pas vu, mais très chaudement accueilli et primé), seul If I could hibernate, très attachante plongée dans la précarité mongole auront surnagé parmi les premiers longs ramenards (Los colonos), proprets mais anecdotiques (Rien à perdre, Goodbye Julia) ou plus intrigants (Aurore, Les meutes) mais bancals.
À l’inverse de ce faible bilan, la vieille garde aura rempli le rôle de surprises ou de rafraichissement. Ainsi Wim Wenders , qu’on pensait perdu pour la cause cannoise depuis le piteux Palermo Shooting (en compet’ en 2008, jamais – et pour cause…- sorti en France) est revenu à ses amours japonaises des 80’s poutransformer avec Perfect days, le quotidien minimaliste d’un nettoyeur de toilettes publiques à Shibuya en émouvant et solaire haïku sur le sens de la vie. Plus énervé, l’octogénaire Marco Bellocchio confirme une rogne intacte contre les dogmes avec L’enlèvement, récit épique du kidnapping d’un enfant juif par les services d’un pape-roi dans l’Italie de 1870. Sans oublier Ken Loach, qui bisse ses adieux officiels (ce devait être avec Sorry, we missed you, en 2018) pour une belle sortie de retraite.
Même balisée par son éternelle fibre sociale, la réconciliation générale (via la relation entre un patron du pub devenu triste café du commerce avec le Brexit et une syrienne exilée) implorée par The old oak est un sommet d’humanisme. On en attendait pas moins d’Aki Kaurismaki, sorti d’une pause de six ans. Toujours aussi laconique, Les feuilles mortes sait pourtant s’inquiéter de la situation du monde actuel (la guerre en Ukraine s’invite tout au long du film via le son d’émissions de radio). Le réalisateur de L’homme sans passé, espérant un futur plus radieux à son duo d’amoureux, leur offrant au minimum refuge avec un film consolant, et paradoxalement chaleureux. Takeshi Kitano, lui aussi de retour, reste fidèle à ses désillusions : l’épopée guerrière de Kubi reprend son cinéma, là où Cannes l’avait laissé (Outrage, en compétition en 2010) : sa vision noire des enjeux de pouvoir chez les clans de Yakuzas remonte le temps pour s’installer au temps du shogunat. Les têtes ne cessent d’y tomber, décapités dans des éclats gores, mais c’est la bouffonnerie désabusée de son auteur qui reste l’arme la plus tranchante.
À ce quatuor pourrait s’ajouter l’Espagnol Victor Erice, donnant des nouvelles trente-et-un après Le songe de la lumière. On peut rester de bois devant Cerrar los ojos – l’enquête sur les traces d’un film inachevé, n’est modeste qu’en apparence, de son étirement (2h49!) peu nécéssaire à un propos sur la nostalgie d’un cinéma à l’ancienne (sous-entendu celui que fait Erice) qu’il ne faudrait pas mettre au placard, dissimule mal un caractère très autocentré- mais la rogne de son auteur, furieux d’avoir été relégué en section Cannes Premiere, loin du prestige de la compétition, transmise via une lettre ouverte dans la presse Espagnole, confirme que cette année, les cinéastes vétérans ont encore une voix qui porte.