Quoi de mieux pour égratigner la peau du narcissisme qu’une comédie noire ?
Finalement, le terme d’humour à froid a peut-être été inventé du côté des pays nordiques. En tout cas, s’il y a un cinéma qui sait le manier, c’est celui-ci. Même si Bergman ou Dreyer n’auront vraiment pas manifesté un sens aigu de la rigolade dans leurs films, leurs descendants actuels s’y collent pleinement pour aller creuser dans le mal-être de leurs congénères. Et encore qu’avec Sick of myself, Kristoffer Borgli, va bien au-delà de sa Norvège pour s’attaquer à la problématique universelle de la prépondérance actuelle de l’apparence et son impact sur l’identité. Soit Signe, une trentenaire qui ne supporte tellement plus de ne pas être vue et considérée, qu’elle va s’inoculer volontairement un médicament dont l’effet secondaire est une maladie de peau qui va en faire la coqueluche des médias et des réseaux sociaux, mais surtout dégénérer. L’idée qui change tout est que Signe est une ultra-narcissique parmi toute une flopée de personnages égocentriques ou opportunistes.
Sick of myself sera donc un réjouissant jeu de massacre, taclant autant donc les accros à la célébrité que le milieu de l’art (via le petit ami de Signe, artiste contemporain, mais surtout escroc) ou celui de la mode dans une partie aussi grinçante qu’hilarante. Au-delà de ce ton gonflé, souvent sur le fil du rasoir, normal quand on veut taillader les travers sociétaux, Sick of myself rejoint autant l’univers d’un John Waters – qui l’a d’ailleurs désigné comme son film préféré de 2022- que les visions rêches d’un Bret Easton Ellis ou d’un Larry David, quand il ne fait pas de prisonniers, se gaussant autant de ceux qui tombent dans le miroir aux alouettes que des néo-béni-oui-ouis qui ne jurent que par l’inclusion. La véritable cible de Sick of myself n’étant pourtant pas cette galerie de personnages, mais d’interroger le désir moderne de tout un chacun d’être considéré, et plus encore d’être plaint par les autres. En logique retour de bâton, Borgli frappe fort avec un film à part, capable de fusionner comédie romantique et body horror pour mieux les vitrioler d’humour très grinçant. Il y est fortement aidé par Kristine Kujath Thorp, actrice décidément audacieuse, vu l’an dernier dans le tout aussi épatant Ninja Baby, autre satire norvégienne des plus mordantes. Entre sa démente performance et l’art de la provoc pas gratuite de Borgli, Sick of myself indique clairement que le meilleur remède contre la civilisation contemporaine, malade de son individualisme, est un féroce traitement de choc.