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A quoi ça tient la cinéphilie ? Sans doute autant aux films qu’à ceux qui vous les font découvrir. Je ne parle pas forcément des critiques, dont l’impact n’a de cesse de s’émousser, depuis l’avènement d’Internet qui a rompu la chaine de transmission entre les films et le public, dont ils étaient un rouage jusque-là immuable, mais de ces passeurs, nourrissant l’envie par la curiosité ou la pédagogie enthousiaste. Dans les années 90, c’est à la télévision qu’on les trouvait encore. Patrick Brion et Claude-Jean-Philippe officiaient brillamment de longues dates aux commandes du Cinéma de minuit ou du Ciné Club tandis qu’Eddy Mitchell faisait le bateleur pour présenter les doubles programmes de La dernière séance, mais n’auront quelque part « que » les émissaires du cinéma officiel. Avec Cinéma de quartier, Jean-Pierre Dionnet aura ouvert une brèche considérable, autorisant des productions mises à la marge par l’intelligentsia, les jugeant impropres à la consommation, à avoir un droit de cité, préfigurant avec des décennies d’avance le choc culturel d’une cinéphilie pop. Cinéma de quartier aura ainsi réhabilité tout un pan de cinéma, essentiellement, européen, rappelant les mérites des péplums italiens, polar allemands, films fantastiques anglais, films de chevalerie soviétiques, sans compter leurs équivalents français et bien d’autres, mais plus encore redéfini une politique des auteurs pour enfin l’associer à des productions populaires.
L’émission s’est arrêtée en 2007, mais a persisté dans la mémoire de ses téléspectateurs, jusqu’au livre de Sylvain Perret, Une histoire de Cinéma de quartier qui paraît aujourd’hui. On y trouve un recensement de la très copieuse liste de films diffusés, qui paraît aujourd’hui incroyable de bon sens au vu de ceux devenus cultes depuis où des cinéastes ayant été depuis adoubés, et plus encore un récit de la création de l’émission qui tient en elle-même non seulement d’un scénario de séries B entre ses multiples rebondissements, mais tout autant historienne de l’autre facette du cinéma, celle de ses mutations économiques et de ses rapports tumultueux avec la télévision. Les tractations pour aller dégotter telle ou telle copie de film étant aussi palpitantes que les négociations quasi-politiques au sein de Canal + ou l’enjeu purement stratégique que devint l’acquisition de catalogues de films pour les chaînes. Perret faisant lui-même un passionnant travail de défrichage, entre la manière dont Jean-Pierre Dionnet, prend des libertés – sans doute pas loin de la légendaire mythomanie d’un Jean-Pierre Mocky (dont certains films auront d’ailleurs été ressuscités par Cinéma de quartier) – avec l’histoire ou sa mémoire et les secrets d’alcôve, tenant pour certains d’une realpolitik cathodique pratiquante, lâchés par les commanditaires de l’émission. Ainsi, autant que celle d’une réinvention de la cinéphilie dont Quentin Tarantino n’était pas encore le prophète, Une histoire de Cinema de quartier est aussi celle, passionnante, d’une des dernières grandes révolutions industrielle télévisuelle, celle de l’avènement de Canal Plus et son rôle prégnant d’acteur financier du cinéma. Et même si l’on peut regretter que cet ouvrage soit trop court sur ces coulisses, pour paraphraser les fameuses présentations de Dionnet en introduction chaque mercredi matin, qui firent beaucoup pour l’âme de cet autre ciné-club, « Si vous aimez les utopistes de la culture et les aventuriers de la programmation. Si vous aimez les petites histoires qui font les grandes, alors lisez Une histoire de cinéma de quartier ! ».
Edité par Badlands/Carlotta
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