Depuis 1998, soit 26 ans, le Festival des Primeurs de Massy met en lumière des artistes ayant sorti un premier album dans l’année et prend possession de la salle Paul B pendant 4 soirées consécutives. Une parenthèse en dehors du temps (et de Paris) où découvertes et curiosités sont de mise.
Cette année, du 1ᵉʳ au 4 novembre, une vingtaine d’artistes ont partagé la même affiche dont, pour ne citer qu’eux, Kalika, Chien Méchant, Zaho de Sagazan ou encore PoiL Ueda. Tous espèrent avoir le même avenir que leurs prédécesseurs, tels que Mansfield.TYA, David Walters, Flavien Berger, Acid Arab, Lewis OfMan ou encore Altin Gün, tous présents lors des précédentes éditions.
Incohérences cohérentes
Cette programmation, on la doit à François Beaudenon, directeur de la salle Paul B et du festival, ainsi que Olivier Nicaise, directeur du festival des Primeurs de Castres, l’équivalent occitan du festival. Tous trois mettent un point d’honneur à donner de la visibilité à des styles divers et variés, tout en gardant cet esprit “d’incohérences cohérentes”. On passe ainsi du rock en français, au maloya ou au dark disco assez facilement. Tout est pensé pour pousser les festivaliers à la découverte : la time-line, par exemple, n’est pas donnée à l’avance et l’ordre des concerts n’est pas hiérarchisé selon une quelconque forme de popularité (ici, le nombre de followers sur Insta, c’est pas le sujet). On se laisse donc porter de salles en salles, de styles en styles, sans à priori.
En regardant la programmation, on se rend quand même compte que certains noms sont déjà bien en place, et c’est normal. En effet, l’industrie du disque a changé au cours de la dernière décennie et il est devenu monnaie courante de sortir plusieurs singles et EPs avant de sortir un album. Il y a une nouvelle façon de produire et d’écouter de la musique : depuis la fin des années 90, l’apparition du MP3, l’arrivée du streaming, la chute du format CD, la démocratisation des mixtapes, des playlists et des sets enregistrés ont tous contribué à l’évolution de l’industrie. Ceci explique en partie la courte durée des concerts : 40 minutes. En effet, lors des premières éditions des Primeurs de Massy, les artistes n’avaient généralement pas assez de compositions pour tenir 1h de set. Malgré l’état des lieux actuel, le festival a souhaité garder ce format dynamique afin de rythmer au mieux les soirées.
19h30 – Arrivée sur les lieux
À peine le pied posé dans l’enceinte de Paul B, on devine à travers les vitres l’ambiance très colorée du festival. Des scénographes venus spécialement pour l’occasion ont disposé moumoutes et coussins farfelus sur les canapés, aplats de couleurs vives au sol, parasol à frange rose pétant, chaises teintées et luminaires dans le patio. Dans le coin chill, tourne-disque, radio y2k, CDs, vinyles et casques audios sont mis à disposition. L’objectif ? Créer une sorte d’espace d’écoute où le public peut se poser, découvrir et discuter musique. Une réalisation possible grâce à un partenariat avec les médiathèques et les disquaires des villes environnantes.
Sur les côtés, différents stands se partagent le reste de la pièce principale : stands de merch avec CDs, vinyles, posters, sweat-shirt, stickers et cassettes ; jeux de fêtes foraines ; paillettes biodégradables de la marque Sisi la paillette si l’on veut se refaire une beauté ; point info et service de covoiturage. Un espace sérigraphie attire l’attention de plusieurs festivaliers. Ce dernier est tenu par Émilie et Joseph, artistes de l’Atelier Corpus, qui proposent de sérigraphier des tee-shirts de leur stock ou ceux que l’on a souhaité ramener, à prix tout doux : 3 euros le T-shirt, prix libre pour l’impression. En cas de petit creux, bar à huître, à bière et à vin trônent le patio et stands de nourriture en tout genre, sont disposés dans les différents espaces extérieurs. Mention spéciale au pizzaiolo qui fait fonctionner son four grâce à un vélo !
Dans un couloir, on découvre une chronologie des affiches des éditions précédentes. Cette dernière met à l’honneur Arnaud Corbin, le graphiste du festival depuis sa création, qui tire sa révérence cette année après 26 ans de bons et loyaux services, et qui passera la barre à l’Atelier Corpus pour le design graphique des prochaines éditions. Sur les affiches, poussin, casserole, tomate et bien d’autres choses. Le message est clair : on fait confiance à de jeunes artistes émergents qui ont encore beaucoup à prouver.
Et la musique dans tout ça ? Elle se déroule où, précisément ? Deux scènes se côtoient, la “salle” et le “club”. La première, intimiste et dotée d’un bar, la seconde, plus grande avec des fauteuils au fond pour les danseurs qui voudrait s’accorder une pause tout en profitant du son. Autour de nous, des jeunes et des moins jeunes, des enfants. Couples, groupes d’amis et familles rigolent, boivent un coup ou jouent, tous impatients de voir débuter le premier concert. Ah d’ailleurs, ça va commencer !
20h10 – Concert de Clair – Pop loufoque — salle “salle”
On ouvre le bal avec Clair, nouvel espoir de la scène pop/variété française. Produite par Philippe Katerine, elle est la première signature de son label, Blow up, et sort dans la foulée l’album La Maison Magique. La chanteuse à la voix solaire et à la présence scénique décalée est accompagnée d’un synthé, d’une batterie, d’une guitare ainsi que d’une basse. « Danser ou crever, tel est le nom de ma dernière chanson, je vous laisse avec ça ! » Parfait, ça met dans le bain direct pour le reste de la soirée.
21h05 – Concert d’Oriane Lacaille – Entre tradition et modernité réunionnaise — salle « club »
Au tour d’Oriane Lacaille, chanteuse, percussionniste, autrice-compositrice et interprète, de prendre possession du plateau. Fille du célèbre musicien réunionnais René Lacaille, Oriane jongle sans difficulté avec les rythmes et ses deux langues de toujours, le français et le créole. Sa voix douce contrebalance ses textes teintés d’émotions et fait honneur à la culture du Maloya et du Sega insulaire. Accompagnée de musiciens, elle ne délaisse pas pour autant son instrument fétiche, le ukulélé, qu’elle manie avec groove et assurance.
Déjà presque 22h, les mélodies enivrantes du concert ont quasi bercé le public, il faudrait quelque chose pour réveiller les troupes. La time-line annonce que le prochain concert est plutôt branché rock. À la bonne heure.
22h – Concert de Bandit Bandit – Rock frenchie — salle « salle »
Bandit Bandit est un duo composé de Maëva Nicola, au chant et de Hugo Herleman, à la guitare, tous deux rencontrés sur une appli de rencontre. Ma foi, il n’y a pas de règle pour créer un groupe ! Et il faut dire que le hasard (ou l’algorithme) a bien fait les choses. Une bouffée d’énergie s’empare de la salle dès l’entrée en scène du duo. « Massy, est-ce que tu as chaud ? » demande la chanteuse avant de lancer « Pyromane », morceau énergique et très dansant. Si dansant, que Maëva descend carrément de la scène pour continuer à faire le show avec le public. Effet immédiat, la foule donne tout et le thermomètre est à son maximum.
23h05 – Concert d’Ishkero – Jazz fusion — salle « club »
« 23h, promo sur les huîtres et début du concert d’Ishkero ! » cette annonce alléchante guide le public vers le prochain concert. C’est au tour du quintet parisien, composé de jeunes musiciens ayant à peine la trentaine, de poursuivre la soirée. Mais détrompez-vous, jeune ne veut pas dire débutant, car cela fait presque 10 ans que le groupe s’est formé, sillonnant les meilleures salles jazz parisiennes, du New Morning à La Gare, et perfectionnant ainsi leurs compositions originales. Une maturité musicale qui les a amenés à sortir leur premier album Shama en février dernier, dûment salué par la critique. Flûte, guitares avec effets, percussions en tout genre, Ishkero explore le champ des possibles et confirme que la scène jazz progressive a encore un bel avenir devant elle.
23h55 – Concert de Chien méchant – Niche électronique – salle « salle »
La fin de la soirée approche et c’est Chien méchant qui a la mission de clôturer le festival. Le duo parisien mélange les codes de plusieurs styles avec brio : rock psyché, electro, dark disco, jazz. Leurs voix vocodées leur donnent un aspect qui tient limite du personnage fantastique et le public se joue au jeu. Dans la foule, on sent l’énergie du dernier moment, certains se mettent même à aboyer tandis que d’autres arborent leurs ultimes pas de danse…
La soirée s’achève et l’heure du bilan a sonné. Le Festival des Primeurs de Massy a bien compris ce que cherchent les festivaliers d’aujourd’hui. De la musique, certes, mais pas que. Les animations, les stands et la décoration ont leur importance dans l’expérience que l’on va se faire. L’esprit convivial du festival se ressent à tous les niveaux, de la programmation à la scénographie en passant par la direction artistique. On fait confiance aux gens et ils nous le rendent bien.