La chronique « Tout doit disparaitre » de Marie Misset, à retrouver toute la semaine dans la matinale de l’été.
C’est une disparition annoncée, telle celle des rhinocéros ou des orangs-outans. La disparition du silence.
Plus précisément, la disparition des lieux, un par un, où aucun bruit provoqué par l’homme ou l’activité humaine ne trouble l’oreille. Il existe même plusieurs chasseurs de silence qui depuis des années, partout, le traquent désespérément.
Le silence sur terre est en voie de disparition
L’audio-naturaliste français Marc Namblard chasse le silence comme certains chassent les ouragans et, en France, il a finalement trouvé son bonheur dans un coin reculé de la vallée des Vosges. Il explique qu’un Parisien, comme un Nantais ou un Toulousain, n’est pas toujours tout à fait prêt pour supporter une telle dose de silence. Le bioacousticien Gordon Hampton, américain et lui aussi fada du silence, est quant à lui catégorique : il ne reste qu’une cinquantaine de lieux dans le monde encore à l’abri du bruit humain. L’un comme l’autre sont d’accord : le silence sur terre est en voie de disparition.
Ceux qui explorent les fonds marins sont eux aussi formels : le commandant Cousteau a un peu mytho par amour du beau titre. Le monde du silence, jamais, n’a été silencieux. Les baleines papotent en continu, et le bruit humain résonne aussi dans les abysses. On vit dans un bourdonnement permanent, et notre oreille fatigue et notre cerveau s’épuise.
Mais que fait l’homme moderne quand il sent que quelque chose lui échappe ? Que quelque chose disparaît sous ses yeux ?
Il le recrée artificiellement, évidemment. Déjà, il y a évidemment des applis. Noisetube, par exemple, localise autour de vous les lieux les plus calmes. On met aussi au point des zones de privation sensorielle, des zones de silence artificiel.
C’est le cas à l’IRCAM à Paris, où l’on étudie le son et qui est doté d’une chambre anéchoïque où le son s’éteint. Ceux qui l’ont testé racontent plus ou moins tous la même expérience. Au début c’est marrant, l’oreille s’habitue, et puis on commence à entendre les bruits de son corps. Les moindres craquements. Quelqu’un a même entendu ses paupières se fermer. À la fin c’est très angoissant. D’où l’expression un silence assourdissant.
Autre histoire racontée dans l’Obs. Un franco-américain un tout petit peu stressé du bruit, Georges Foy, est ainsi parti dans une recherche éperdue du silence. Il vivait alors à New York, ville encore classée cette année comme la plus bruyante du monde. De maison isolée, en région déserte, à chaque fois, le bruit le dérangeait. Il a fini par s’installer dans une chambre sourde du Minnesota, où le niveau de décibels est carrément négatif. Au début, il était très content. Il avait trouvé son Graal personnel. Mais est-on jamais sûr de ce que l’on recherche vraiment ? Au bout d’un moment, dans sa chambre sourde, il n’entendait plus que lui, il entendait même son sang couler dans ses veines. Et il a compris, dit-il, que le seul moment où l’on entend vraiment plus rien, c’est quand on est mort. Probablement peu partisan de la demi-mesure, il est retourné vivre à New York. Alors qu’en cherchant bien, il aurait pu aller en Suisse, où même les cloches des vaches sont remplacées par des GPS pour ne plus déranger les voisins. Mais non, échaudé par son expérience, il a préféré NYC et sa vie et ses bruits.
Le silence absolu, mieux vaut ne pas trop le chercher.
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