La très grande saga de Radio Nova racontée par celles et ceux qui l’ont vécue et ambiancée à l’antenne ou dans la savane.
« Quelle chance, quelle chance d’habiter la France. » Loïc Dury a raison : longue vie au rap et au raggamuffin. Sur Nova, en 1991, pas question de lâcher l’affaire, surtout pas l’année de sortie de trois albums fondateurs. Citons d’abord Authentik du Suprême NTM, « pur produit de cette infamie appelée la banlieue de Paris », qui souligne que « l’argent pourrit les gens » et s’impose en « haut-parleur d’une génération révoltée, prête à tout ébranler » pour reconstruire, bien sûr, Le monde de demain. Non loin de là, un break de batterie coule sur la FM et Claude MC Solaar nous avertit : Qui sème le vent révolte le tempo, en conseillant de ne pas devenir des « victimes de la mode ». Tandis qu’au Sud, un clan d’égyptophiles de dimension pharaonique, IAM, fomente une attaque en règle venue… De la planète mars, deux ans après leur première mixtape intitulée Concept. En parallèle, le hip hop est déjà une source de parodies, parfois bien amenées, comme le rap « BCBG » des Inconnus, Auteuil Neuilly Passy, certifié disque de platine, qui cartonne sur Antenne 2.
Cette année-là, Terminator 2 de James Cameron, à l’époque film le plus cher de l’Histoire du cinéma, montre un androïde venu du futur pour empêcher l’enfer nucléaire et notre soumission à un ordinateur hors de contrôle – tandis que nous commençons doucement à nous familiariser avec l’image d’une toile d’araignée mondiale capable de nous aider à communiquer, le World Wide Web, inventé l’an passé par l’informaticien britannique Tim Berners-Lee. Sur Nova, une journaliste de 27 ans, « Elsa », diminutif d’Elisabeth Quin, anime notre toute première matinale, éberluée certains jours par « l’humus humain » qui l’environne « avec des DJs, des branleurs assez formidables et des éclats de rire ». Elle évoque (probablement) la mort de Serge Gainsbourg, de Miles Davis et de Freddie Mercury, la sortie scandaleuse du roman American Psycho sur un trader psychopathe fan de Whitney Houston, la trouille suscitée par le cannibale du Silence des Agneaux, la performance de Val Kilmer en Jim Morrison, Edith Cresson nommée Première Ministre, ce que nous dit la comédie Génial mes parents divorcent ! sur le plan sociologique, ou le succès brutal d’un trio grunge de Seattle nommé Nirvana, dont l’album Nevermind montre un bébé à poil dans une piscine le regard aimanté par un dollar. Elsa recommande aussi, sûrement, d’écouter le soundsystem de Tonton David ou les interviews de Bintou Simporé, qui reçoit pour la première fois deux pointures qui deviendront des habituées de notre antenne : le « scientifique du blues » américain, Gil Scott-Heron, ou la « diva aux pieds nus » du Cap-Vert, Cesária Evora.
En 1991, Radio Nova a dix ans et si tu m’crois pas, t’vas voir ta gueule à la récré. La guerre du Golfe est sur toutes les lèvres. Opération « Tempête du désert ». On voit Bagdad se faire bombarder en direct à la télé via des images vertes très bizarres, des Scorpions teutons nous percent les tympans avec un slow pacifiste sur le vent du changement, et le disque fondateur du trip-hop, Blue Lines des Bristoliens de Massive Attack, sort avec une pochette amputée du mot « Attack », jugé anxiogène. Pas facile de rester des Shinny Happy People, comme le chante R.E.M. En réaction à cette atmosphère pesante, Nova organise et diffuse pendant six mois des concerts le dimanche après-midi, sous la bannière « Aucun océan ne nous sépare ». Show must go on.
Réalisation, mixage : Guillaume Girault.