La très grande saga de Radio Nova racontée par celles et ceux qui l’ont vécue et ambiancée à l’antenne ou dans la savane.
Avec force, et un art monstrueux du montage, ils affirment pratiquer la « caricature tranquille ». Chaque dimanche soir pendant deux ans, les deux punks de première classe planqués derrière les pseudos de « Polémix et La Voix Off » piquent, repiquent et remixent les petites phrases et polémiques nulles de nos politiques, pour « créer une chambre médiatique absurde », parfois secondés par un énigmatique « DJ Flashball ». Ce brillantissime bulletin de « déformations », souhaité comme « iconoclaste et hirsute », encore porté de nos jours (en ligne et sur d’autres ondes) par le Tourangeau Jean-Baptiste Diaz, nous a permis de rire et de respirer. Ce n’était pas toujours fastoche, en 2007. Un procès démarre contre Charlie Hebdo suite à la publication de caricatures de Mahomet, qui auront des conséquences tragiques. Il y a des phases plus légères, comme notre feuilleton matinal Plus belle la France, lui aussi riche en détournements (avec, parfois, les doubleurs des Simpson). N’oublions pas non plus la candidate du Parti Socialiste, Ségolène Royal, qui déclare lors d’un voyage en Chine, en pleine campagne présidentielle : « Qui n’est pas venu sur la Grande Muraille n’est pas un brave, et qui vient sur la Grande Muraille conquiert la bravitude. »
Il fallut rester braves, lucides et drôles, à l’annonce de la victoire de Nicolas Sarkozy – qui, dès le lendemain de son sacre, part se reposer au large de Malte sur le yacht de son ami Vincent Bolloré et laissera un généreux dictateur libyen, Mouammar Kadhafi, planter sa tente dans les jardins de l’hôtel de Marigny. Entre Jamel et Diam’s, vénères et dépité·e·s, la tribu Nova se réunit au micro, apaisée par Jean-François Bizot qui relativise, en poussant à la réflexion, la génération nan nan. Mais pressent-il lui-même qu’en coulisses, un ancien du magazine Actuel, Bernard Kouchner, se joindra au gouvernement « d’ouverture » formé par François Fillon, en tant que ministre amer des Affaires étrangères ?
Citizen Bizot meurt en septembre, à 63 ans. C’est tôt. Dans le livre Un moment de faiblesse (Grasset, 2003), son « plus long reportage » sur la guerre menée contre le cancer qui le « squatte », il écrivait : « Plusieurs regards possibles quand on révèle qu’un crabe grouille dans le ventre. Ceux qui, droit dans les yeux, laissent passer une brume dans le regard. Cette humidité seule vous fait l’amour. Ceux qui l’ont vécu, le vivent, vous accueillent au club, flegmatiques comme un barman élégant (…) Le cancer est une maladie philosophique ; on ne peut le remercier qu’en le mettant KO mais la lutte reste un cours particulier sur l’épistémologie des émotions. » Proches et disciples se réunissent pour la veillée. Dans Libé, ses copains Van Eersel et Mercadet signent une nécrologie exemplaire, où piocher des mantras : « Jean-François Bizot nous a quittés à l’âge de 126 ans. Vivre jour et nuit pendant 63 ans, le compte y est. Il n’avait peur de rien, mais il était terrifié à l’idée de devenir un grand bourgeois comme il faut. Il avait peur du « bon goût » (…) Peur de ne rien faire. Ses mots clés : « Bougez ! se remuer le cul ! Vite ! » Peur de mourir, terriblement peur. Encore qu’à cet égard, cinq années de lutte exemplaire contre Jack, ainsi qu’il nomma le rongeur, avaient à l’évidence opéré en lui des métamorphoses essentielles (…) La vie continue. La vie sans Bizot commence. »
Réalisation, mixage : Benoît Thuault.