Chaque jour, Radio Nova met un coup de projecteur sur un titre. Aujourd’hui : « Black&Blue » de Vince Staples.
Avec « Dark Times », Vince Staples prouve que les légendes urbaines d’autrefois ont toujours une résonance aujourd’hui.
Les grands artistes sont souvent hantés par certaines thématiques qu’ils explorent tout au long de leur carrière. Né et élevé à Long Beach, en Californie, Vince Staples a été à la fois témoin et acteur de nombreux drames.
Alors qu’il n’avait que 12 ans, il perd sa mère. Le vide qu’elle laisse, il le comblera avec les grands du quartier, les Naughty Nasty Gangster Crip où il y retrouve son cousin Joey Fatts.
Son premier projet avec Def Jam, l’EP Hell Can Wait, n’était sorti que depuis quelques semaines qu’il était déjà rattrapé par ses erreurs du passé et de bonnes vieilles habitudes : écrire ses prochaines tracks entre deux gardes à vue, sans instrumentaux.
Après la sortie de Ramona Park Broke My Heart en 2022, qu’il décrit comme « une anthologie de mon quartier et de mon passé« , Vince Staples avait affirmé lors d’une conférence de presse qu’il en avait fini avec l’expiation de sa vie d’avant.
Finalement, avec “Dark Times”, sortie le 24 mai, il replonge et retourne à ses sujets fétiches : les violences des gangs et le racisme ordinaire.
Décortiqué avec un sixième sens du non-sens maitrisé à la perfection, il étend de manière panoramique une réelle intelligence sociale au cœur de sa musique. Et tout ça commence dès la seconde track, qui fait d’ailleurs référence au film éponyme, Black and Blue de Deon Taylor, condamnant violence policière et la corruption dans les quartiers.
Plus que le titre, le premier couplet est particulièrement évocateur :
“Who can I call when I need help? Jugglin’ thuggin’ depression and pride
Sayin’ it loud, like James, rollin’ the window down, ayy”
Certains auront peut-être compris le clin d’œil. Référence à l’iconique morceau funk de James Brown, “Say it Loud – I’m Black and I’m Proud », Vince Staples nous remémore la force des hymnes emblématiques du mouvement Black Power.
Verse après verse, il poursuit sa liste de mentors, s’incarnant même comme héritiers de la génération d’un rap engagé.
Sur “I Wonder if Heaven got a Ghetto” ou “thugz Mansion”, Tupac Shakur interroge le devoir de mémoire des personnes assassinées dans les ghettos. Sur “Black&Blue”, Vince Staples réitère la question en perpétuant le souvenir de deux rappeurs morts à la suite de rivalité de gang à moins de 30 ans : Eric Swavey et Drakeo the ruler.
Ce n’est pas la première fois sur un album que celui que l’on pourrait qualifier de disciple de Tupac, évoque son mentor. Sur “Rose Street” en 2022, il faisait déjà référence à « La rose qui a poussé à partir du béton », allusion à sa propre trajectoire florissante dans des conditions défavorables.
Vous l’aurez compris, Dark Times est un puits sans fond d’histoire et d’anecdotes. On y retrouve à la fois des discussions entre James Baldwin et Nikki Giovanni dans l’interlude de « Liars ».
Mais pas seulement ! Vous aurez le plaisir d’entendre des samples de DJ Screw, Curtis Mayfield et Thee Sacred Souls sur « Black&Blue » et de Marvin Gaye, Rock Master Scott and the Dynamic Three sur « Radio ». « Etouffée » mentionne pour sa part une histoire glaçante, mais marquante de l’histoire de la lutte noire aux États-Unis : la mort de George Floyd en 2020.
Le tout est parfait d’un crew de producteurs passant de plus connus — Michael Uzowuru, Jay Versace, Cardo — à d’autres plus confidentiels — LeKen Taylor, Saint Mino. Toute la production est fignolée pour nous faire entendre tout ce que Vince Staples fait de mieux : un rythme somnolent et des verses tranchants. Une singularité que l’on encense depuis ses débuts chez Def Jam.
“Eleven years ago, a young, uncertain version of myself was given an opportunity with Def Jam Recordings. I released my first project under their banner, ‘Shyne Coldchain Vol 2’, a year later. »
Staples a eu le genre de parcours qui n’est plus censé être possible sur ce genre de label. En 10 ans, il a sorti huit projets – six sur Def Jam, deux sur Motown – dont aucun n’a atteint la 16e place du Billboard 200.
Pour ceux qui n’auraient pas encore été convaincus par ce dernier album de Staples chez Def Jam, nous vous donnons la clé pour tout comprendre de son génie : regarder Le “Vince Staples Show”.
Sur cette minisérie, sorti plus tôt cette année, il reprend toutes les thématiques de l’album. D’ailleurs, Vince Staples y enfile toutes les casquettes : scénariste, réalisateur et acteur principal.
Entre “Atlanta” de Donald Glover et “Curb your Enthousiasm” de Larry Davis, Vince Staples poursuit sa carrière dans l’audiovisuel. Sur un ton décalé, un humour sec et un cynisme, il met en scène l’expérience noire contemporaine aux États-Unis dans une variation entre fantaisie et réalité – un peu comme la suite de « Prima Donna ».