En 1985, Tina Tuner était interviewée par Jean-François Bizot. Retour sur cette rencontre avec la « Queen of Rock ‘n’ Roll ».
Vous-êtes vous trouvé confrontée à d’autres musiques noires que la musique noire américaine ?
Oui. J’aime bien le reggae, qui à ses débuts sonnait plutôt comme de la soul ou comme un mélange d’influence… Mais comme j’aime danser, ce qui ne va pas très bien avec le reggae, je préfère le chanter. J’apprécie le groove et le tempo du reggae. En dehors de ça, je n’ai jamais trop exploré d’autres musiques noires.
Il y a quelques années, je suis allée en Afrique du Sud, et j’y ai découvert une musique très soul, avec un groove dans le style de James Brown. Moi, je suis plutôt une performeuse, j’ai de l’énergie à revendre et je suis avant tout une femme de scène, très physique, très visuelle, ce qui ne correspond peut-être pas avec le style de musique sud-africain.
James Brown a eu une grande influence en Afrique, il y a fait une tournée en 1973. Il y avait des milliers de personnes à chaque concert et ça a inspiré beaucoup de choses, beaucoup de mélanges. Alors que ce n’est plus vraiment la tendance aux USA en ce moment.
Tu sais, d’après mon expérience, on a été bercés toute notre enfance par le Rythm’n’blues, contrairement à l’Europe, et on a tendance à vouloir s’éloigner un peu de cet héritage musical pour changer d’air. On arrive toujours à saturation lorsqu’il s’agit de phénomènes de mode, c’est vrai aussi avec les fringues, la déco, etc.
Penses-tu que le Rythm’n’blues va revenir à la mode ?
Sûrement, c’est les principes des révolutions. La musique c’est comme le reste : un perpétuel recommencement.
As-tu déjà travaillé avec Little Richard ?
Non je n’ai jamais travaillé avec lui, quand je commençais ma carrière c’était le moment où il hésitait entre sa carrière de musicien ou l’Eglise. Je connaissais sa musique, je l’ai rencontré au début des années 1960, il a voyagé un peu avec nous, lorsque nous nous sommes installés aux USA. C’était une figure clé du Rythm’n’blues.
As-tu la sensation que Prince fait un peu ce que Little Richard faisait ?
Non je ne pense pas, je pense que Prince fait plutôt du Hendrix. Enfin, Prince est une version plus excentrique d’Hendrix, qui était plus naturel, ce que Prince pourrait faire s’il laissait tomber son attirail et s’il se mettant en jean / t-shirt pour se contenter de faire de la guitare. Il finira par s’y mettre, mais pour l’instant il est sur autre chose… et c’est vrai qu’il a beaucoup de talent. Mais non, pour moi personne ne fait ce que Little Richard faisait.
Ce qui fait vraiment avancer les choses, c’est de s’intéresser à toutes les techniques, aux mécanismes modernes, aux machines qui peuvent change la musique. Si les harmonies et le son étaient toujours les mêmes, on s’en fatiguerait. En ce moment, le disco se mélange au rock, et à d’autres choses : on aime les mélanges, les expérimentations. Mais je crois que viendra un moment où, fatigués de tous les artifices, des techniques expérimentales, de l’électronique, des mix, des remixes, des combinaisons musicales, on reviendra aux basisques.
Avez-vous apprécié Mel Gibson, avec qui vous avez tourné les Mad Max?
Je pense que c’est un super acteur, le plus rock’n’roll de notre époque. Pour moi Mad Max est un film Rock’n’Roll : avec le cuir, la voiture, la musique forte, il est très extravagant ce film.
C’est intéressant de voir que deux gros films vont sortir avec des actrices noires dans un gros rôle, le second étant James Bond avec Grace Jones.
Ah oui ! J’en parlais justement, elle s’est vraiment bien imposée en tant qu’actrice. A vrai dire, j’aime son image, mais je n’ai jamais trop écouté sa musique. J’aime beaucoup ce qu’elle fait, on n’a pas vraiment le même style, mais j’aime comment elle s’impose.
Te sens-tu plus proche du Rock’n’Roll que des musiques noires ? Je ne veux pas remuer le passé, je sais ce qui s’est passé avec Ike, mais quand vous performiez, c’était plus proche du rock’n’roll que des musiques noires américaines mainstream ?
Oui, absolument. Quand j’ai rencontré Ike, il m’a fait chanter des ballades, je détestais pas ça mais c’était ma vie. Il était mon producteur, c’était mon mari. J’ai vécu cette vie-là pendant 16 ans, et je le faisais bien, j’étais disciplinée. Mais il y a très peu de mes chansons que j’aimais. Je préférais le Rock’n’Roll.
Quand j’étais petite, il n’y avait que de la country à la radio, j’ai grandi dans les maisons de blancs et comme je travaillais pour eux, certaines femmes blanches étaient des figures maternelles pour moi. Donc c’est un mélange d’influences qui m’a poussée vers le Rock. Finalement, le Blues ne m’a jamais trop intéressée.