Covid, algorithmes, inflation – à lire sur le ton du journal de 20h —, les artistes émergents galèrent-ils de plus en plus à remplir les salles ? Un décryptage d’Angèle Chatelier.
On vous voit et on sait que vous le faites : flâner de salles en salles à la découverte de groupes émergents. Fouler les pelouses de festivals à la recherche de la nouvelle tête de gondole de l’industrie. Sauf que derrière une Beyoncé qui remplit un Stade de France en quelques minutes se cachent des centaines de groupes émergents qui, pour remplir, galèrent.
« C’est toujours compliqué, ce sera toujours compliqué », concède Stéphane Martin, programmateur du Chabada (Angers). Mais aujourd’hui, ne serait-ce pas de pire en pire ? Début 2022, 63% des Français déclaraient moins fréquenter qu’avant le Covid les lieux de musique. Depuis la reprise des activités, Stéphane Martin constate qu’il a perdu entre 40 et 50 billets par concert… Principalement des quarantenaires ou cinquantenaires — beaucoup se sont habitués au confort de leur canap’ et aux soirées Netflix.
Certains préfèrent dépenser une grosse somme pour un gros artistes que plusieurs petites pour des sommes plus dérisoires.
Jean-Christophe Aplincourt, directeur du 106 (Rouen) constate lui un autre problème — plus pernicieux — celui des algorithmes. « Ils mettent en avant les gros artistes, ceux dont on parle le plus et gomment en ce sens la diversité », remarque-t-il. Difficile de faire venir un public qui n’a pas le temps ou l’envie d’être curieux des nouveautés et joyeusetés musicales quand on le matraque toujours des mêmes artistes. Surtout quand il s’agit de devoir cramer le porte-monnaie : aujourd’hui, certains préfèrent dépenser une grosse somme pour un gros artistes que plusieurs petites pour des sommes plus dérisoires. Ce qui n’est pas étonnant lorsque l’on sait que 35% des Français vont aux concerts de musique au moins une fois par an – pas plus.
Le rap défonce tout
Mais loin de nous l’idée de faire pleurer dans les chaumières (ni de raconter ça sur le même ton qu’un mauvais documentaire d’enquête), il y a – aussi – de quoi se réjouir : le rap défonce tout. « C’est fascinant. Il arrive souvent que l’on programme des artistes que l’on ne connaissait pas il y a six mois et qui font complet. C’est un phénomène que l’on n’avait pas avant », raconte Stéphane Martin. Il ajoute : « quel que soit l’artiste que l’on programme, il y a du monde sur le rap, ce qui est le moins le cas sur d’autres esthétiques ».
Et il y a aussi de grands gagnants post-Covid, comme les petites salles dont l’émergence est le fonds de commerce. C’est le cas de La Boule Noire à Paris (200 places) : « on a eu de la chance de pouvoir accueillir toute une nouvelle scène d’artistes qui avaient la vingtaine et se sont pris le Covid en pleine gueule. Pareil pour le public, il avait grave envie d’en découdre », se souvient Nicolas Chiacchierini, programmateur de la salle. Résultat, en nombre de dates, de chiffre d’affaires, de fréquentation et de chiffre de bar, 2022 a été une année de tous les records. Qu’est-ce qui explique un tel engouement ? L’embouteillage de sorties d’albums et de dates décalées pendant le Covid. « On en a largement profité… » admet-il.
Le réseau de salles moyennes en France est un édifice précieux
Mais encore faut-il désormais protéger ce qui fait le sel des artistes : les salles. Surtout, les 89 salles de musiques actuelles (SMAC) qui existent sur le territoire (une spécificité française) et proposent près de 6 000 représentations par an, souvent des artistes en développement : « ce sont aussi ces salles qui jouent un rôle prescripteur, qui dirigent le regard des spectateurs », martèle Jean-Christophe Aplincourt. Il y a donc tout un écosystème à valoriser. Des salles qui, selon lui, doivent continuer à pouvoir fonctionner grâce aux subventions allouées par le ministère de la Culture, les villes, les départements « sans que la crise post-Covid démobilisent les collectivités sur ces sujets-là ».
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