Le label alternatif normand Underdog Records fête ses 20 bougies. Rencontre avec l’un des fondateurs, Maxime Péron.
Le 12 janvier dernier, le carioca de João Selva et les sonorités Tropicadelik du duo Ireke résonnaient sur la scène du Café de la Danse. Dub, afrobeat, funk 70’s, highlife, samba, disco formaient une palette musicale à l’image de la DA du label : l’amour du groove. Et ça, Underdog réussit depuis 20 ans, autant à le faire vivre sur la scène française qu’à l’international. Alors qu’au départ, c’était plutôt l’histoire de deux trois potes et un groupe de funk.
Une histoire d’amitié, un projet musical, un label
Outsiders ou Underdog, c’est pareil. Déjà par sa signification, le label évoque celles et ceux qui ne partent de rien. Même pitch en action. Maxime Péron et Laurent Loudier créent le label en 2004 pour pousser le groupe de funk régional La Fonction (Laurent, lui-même batteur du groupe). Sur un coup de tête et au lendemain d’une soirée (peut-être arrosée…), le projet se concrétise sous forme de SARL, sans que personne en connaisse vraiment les obligations. “C’est ça l’énergie de la jeunesse. Lorsqu’on a plein de rêves et qu’on fonce sans trop se poser de questions.”, se rappelle Maxime.
Et ça fonctionne. Vingt ans après, Underdog est devenu une référence en matière de “groove”. Une empreinte musicale représentative de ce qu’ils écoutaient à l’époque : les disques distribués par Mélodie et Rue Stendhal. Deux maisons de distribution qui étaient les repères de Gilbert Castro, diffuseur emblématique de la sono mondiale. On lui doit d’ailleurs le label Celluloïde (Salif Keita, Mory Kante et Cesária Évora, entre autres) et notamment, l’emblématique Actuel, cofondé avec Jean-François Bizot (également fondateur de notre Radio Nova).
Tous s’attachaient à partager un catalogue entre black music, soul music et funk music. Underdog prend la relève. Et quand on demande à Maxime de définir le “groove” à une personne non-mélomane, il nous répond : “Je lui demande s’il connait Nova ou FIP. Si iel dit oui, je dis que c’est à peu près cette couleur-là !”. Tout simplement.
Ce choix de DA n’est pas un hasard. En plus d’être fan de funk et d’en côtoyer la scène locale des Yvelines, Maxime Peron avait ses accès dans l’industrie musicale. À l’âge de 24 ans, il rentre en stage en distribution chez Mélodie – là où son père travaillait – et y restera un moment. Les disques de Kora Jazz Trio, Youssou N’Dour ou encore les sorties du label Syllart (Africando, Mandekalou) passent entre ses mains. Il se forme à la promotion, se familiarise avec l’industrie et choppe les contacts des médias fourmillant autour de la scène world music. Au même moment, il lance l’aventure Underdog, et tous ces filons deviennent précieux.
La signature de Flox, carte de visite du label
Sans surprise, Underdog inaugure son catalogue avec le premier disque de La Fonction, intitulé La conspiration a déjà commencé. D’ailleurs, toujours autant motivé pour promouvoir ses potes, Maxime avait débarqué à Nova au culot. S’ensuit la sortie de la compilation La France Made In Funk en 2005, qui regroupe la scène funk hexagonale.
Les bonnes nouvelles continuent avec la signature de Flox en 2006. Tout se déclenche lorsqu’un pli destiné à Next Music – label qui n’existe plus à ce moment-là – arrive dans les mains du binôme d’Underdog. Par curiosité, ils ouvrent et découvrent que l’artiste cherche un distributeur. Cette information ne passe pas à la trappe et débouche sur le projet Take My Time. Dès sa sortie, Nova le met en playlist, ça prend et surtout ça ne s’arrête plus depuis. Flox fait aujourd’hui office de figure de la scène dub/reggae hexagonale et son dernier album Square en 2022 lui a offert ses premières tournées en solo.
De là, les signatures s’enchaînent – Fanga en 2007, Tribeqa en 2008, entre autres – et le label s’ouvre à l’international. Le créneau “groove” leur laisse la place de s’exporter sans rencontrer trop de concurrence, contrairement aux segments rock, indie et rap de l’industrie.
“Quand je regarde les playlists Spotify style “Global Groove”, on retrouve très souvent les mêmes labels derrières.” – Maxime Péron
Underdog occupe donc une place de choix et séduit rapidement les groupes au-delà de l’hexagone, comme les danois Dafuniks en 2010. Des ambassadeurs de la fusion soul/hip-hop que Maxime avait pu découvrir à l’écoute de Radio Nova et lors d’une de nos mémorables Nuits Zébrées.
“J’ai vraiment forgé mon oreille avec Nova, à un moment, j’arrivais même à savoir ce qui allait rentrer en programmation tellement j’avais compris le truc. Nova m’a permis de signer des groupes qui n’étaient pas signés” – Maxime Péron
Par chance, les Dafuniks n’étaient pas encore signés. Aujourd’hui, le groupe est celui qui stream le plus et vend le plus de vinyles de tout le label. (Ils sont d’ailleurs dans nos 23 morceaux préférés de 2023). Banco.
La recette ne change pas
Pas besoin de gros succès pour mesurer le poids d’Underdog. Il suffit de plonger dans leur catalogue fourni, intemporel et surtout fidèle à leur début. Aujourd’hui seul à la tête du label, Maxime préfère réduire l’entrée de nouveaux artistes. Sa priorité : sécuriser les artistes qu’il accompagne depuis vingt ans. Et c’est une réussite, tous·te·s vivent de leur musique et la valorisent en live lors des tournées.
“On vieillit avec la musique qu’on écoutait à 20 ans, puis ça change plus. Le label et les artistes vont donc vieillir avec les gens qui nous écoutent.” – Maxime Péron
C’est du côté de la production que le label choisit de se renouveler. Un mot d’ordre : l’originalité. Un travail que le label a notamment entamé avec les lyonnais Dowdelin à l’énergie soul électro-créole. Un projet que Maxime défend depuis 2018 – année de la sortie de leur premier album Carnaval Odyssey – et qu’il présente comme “une proposition hybride et moderne qui est certes plus dure à imposer, mais qui au moins change”. Le défi est relevé. En l’espace de cinq ans, Dowdelin comptabilise trois sorties, dont la dernière en date, l’EP Péké Viré (bon échauffement pour le troisième album qui arrive), qui fait suite au succès de l’album Lanmou Lanmou.
Dowdelin, Flox, Dafuniks, The Brooks, Janko Nilovic, Ireke… tous·te·s forment le back catalogue de Underdog. Un large échantillon de musique qui permet au label d’adapter sa musique à l’image, avec la synchro pub et le cinéma. Autre stratégie de diffusion : Underdog parie sur le physique. Les rééditions et le format vinyle parcourent leur catalogue – bonne stratégie au vu des multiples ruptures sur les différentes plateformes.
Pas de changement de plan pour la prochaine décennie, à l’image de l’année 2024 qui s’annonce riche en rééditions. Pour la première fois, l’album In Dub (2013) de Flox sera édité en vinyle et plusieurs projets sold out vont ressortir – le Dafuniks Past, Present, Future (2015) ou encore le Satingarona Part.1 (2016) de The Bongo Hop. Un futur donc qui continue de se construire avec les projets passés.
Pour autant, cela n’empêche pas Max Péron de revoir ses objectifs. Quand on discute de l’avenir du “groove” façon Underdog, il mentionne son envie de “signer plus d’artistes femmes”, sur le modèle de Kolinga et sa frontgirl, Rébecca M’Boungou.
Pour fêter les 20 ans d’Underdog, João Selva et Dowdelin se partagent la scène des Saulnières (Le Mans) le 9 février et celle du Fil (Saint-Étienne) le 29 mars.
Dernière sortie en date : le projet solo The Otium Mixtape de KILEDJIAN, producteur multi-instrumentiste lyonnais et musicien du groupe Dowdelin.