Dizzee Rascal a passé une tête dans nos studios pour signer son grand retour !
Après quelques singles plus commerciaux et un dernier album, E3 AF, paru en 2020, il revient sur les terres qui l’ont fait passer de Dylan Kwabena Mills à Dizzee Rascal avec un projet grime.
Pour comprendre les diverses références et anecdotes de cette interview, quoi de mieux qu’un petit récap sur l’histoire de ce genre dont Dizzee est le fer de lance ?
Le grime nait dans le quartier de Dizzee : Bow, London. Dans ces barres de blocs, à deux pas du chic et branché Canary Wharf borough (la seconde city), le début des années 2000 n’est pas rose. Chômage, décrochage scolaire et deal font rage. La concentration de cette précarité est en partie la conséquence des grands “succès” des politiques de la ville introduite par Tony Blair, premier ministre du Royaume-Uni de 1997 à 2007. Les classes bourgeoises, historiquement plutôt résidentes des périphéries de Londres, sont ramenées au centre de la ville pour participer à “l’économie créative”, délogeant les classes populaires pour les concentrer dans quelques derniers bastions enclavés.
Dans ce climat, de la street aux radios pirates, les jeunes spittaient — traduction littérale pour dire “cracher” des textes. Mais ici rien à voir avec le rap qui se faisait aux US. Le grime se veut être une vraie évolution de la musique électronique anglaise. Dans ces quartiers de Londres, White Label Classics et le Ruff Sqwad font se rencontrer sonorités garage, phrasé du hip hop et culture soundsystem.
Fruity Loops et PC d’occas’ font rapidement naître sous les doigts ingénieux des pionniers – Dizzee Rascal, Kano, Wiley, Skepta et son frère Jme – ce qu’on connait aujourd’hui. Si le grime est fière de s’afficher comme un genre tout neuf, il reste dans la pure lignée des sons ghetto — dans sa définition musicale — qui se construisent à base de plugging et samples.
Vous voulez savoir quel était le premier du genre ? On vous laisse vous positionner dans ce débat interminable pour savoir si “Dilemma” du So Solid Crew, “Eskimo” de Wiley ou “Crime” de Dizzee, a eu son étiquette grime avant les autres.
N’empêche que trois ans après ces débuts, le grime est déjà couronné du prestigieux Mercury Prize avec Dizzee et l’énorme succès de son premier album Boy in da Corner.
Pas question de vivre dans l’ombre des grands frères américains — et même de qui que ce soi —, les gars de l’East London inondent les ondes de toute la ville avec des radios pirates aujourd’hui mythiques : Rinse FM et Kiss 100. Des antennes sont montées dans les endroits les plus improbables pour “voler” des fréquences au dam des plus gros.
À Londres, il n’y a pas que le ciel qui connait mauvais temps, le grime aussi traverse une tempête ! Comme l’a connu dans les années 70 le punk et les années 80 le garage, le rythme rapide et syncopé — compte un bon 140BPM — de Bow inquiète les autorités.
Les textes bruts balancés par les MC sont devenus l’objet d’une nouvelle vague de répression de la culture jeune. Un mythe nait autour de cette scène musicale ainsi que tout un vocabulaire d’une banlieue fantasmée : violence, drogue et gang. Une répression sévère est alors mise en place s’incarnant par le 696 form.
Formulaire d’évaluation des risques appliqués aux événements non-live, il oblige aux salles et aux promoteurs d’événements de communiquer à l’avance nom, âge, numéro de téléphone, lieu de résidence de l’ensemble des artistes bookés ainsi que le public touché et ses origines ethniques. Bien sûr, ils s’autorisent après cette procédure clairement raciste à suspendre la venue de certaines personnalités et d’une partie de leur répertoire.
Ils vont même jusqu’à interdire certains morceaux, dont “Pow! (Forward) » de Lethal Bizzle, premier single grime dans le top 20 UK, interdit dans de nombreux lieux pour le caractère violent du son “pow” faisant référence aux armes à feu.
Pour tout manquement à ces indications, les autorités londoniennes peuvent réprimander d’une amende majorée de 20 000 livres et de six mois de prison. De quoi refroidir toute une deuxième génération.
Le Grime n’a pourtant pas dit son dernier mot. Salué par Kanye West et porté par ceux qui se sont battus durant la censure du form 696, Stormzy, AJ Tracey, Novelist, Jammz et Lady Leshurr donnent un second souffle au genre à côté d’une UK drill, nouvelle coqueluche de Londres.
Dizzee Rascal vient de toute cette histoire, pionnier d’un genre martyr. Avec Don’t Take it Personal, sorti le 9 février sur Big Dirte3 records, il récidive pour déposer à nouveau sur sa tête sa couronne de roi du grime. Il décortique tout, avec nous dans le Nova Club, pour partager ses premiers pas, ses influences et son dernier projet. Grand amateur de la scène rap française, on lui a même fait une petite surprise en lui faisant découvrir “Mauvais payeur” de La Fève. Et sa réaction vous l’a retrouvé juste ici :