Certains l’écoutent en secret, d’autres l’assument totalement et enfin les derniers pensent ne pas l’aimer, mais connaissent par cœur le refrain de « Viens voir le docteur » de Doc Gynéco. Sensibles, une histoire du R&B français, met tout le monde d’accord en retraçant l’histoire de ce courant mésestimé de la musique française.
Que vous soyez ambassadeur·ice du R&B ou non, Sensibles une histoire du R&B Français devrait vous intéresser. Cette enquête réalisée par Rhoda Tchokokam retrace le parcours de ce genre dont les premiers jets étaient loin d’être fructueux. Sensibles est le premier essai de cette autrice qui défend la culture noire à travers son média Atoubaa espace d’expression dédié aux cultures et aux femmes noires et l’émission Piment (diffusée sur notre antenne de 2019 à 2020). Édité par Audimat éditions qui “ publie des textes critiques, sensibles et politiques, des contre-récits, de l’esthétique sauvage”, l’ouvrage porte un point de vue rare sur un sujet qui n’a été que trop peu l’objet d’études et de documentations.
Sensitive
Lorsqu’il arrive en France, le R&B peine à être considéré comme un nouveau genre en tant que tel dans le paysage musical, fermé à ses sonorités nouvelles. Les artistes comme Tribal Jam veulent apporter un nouveau son en France, directement inspiré par les vibes du New Jack Swing catapulté au sommet des charts par Teddy Riley et du R&B américain. Certains professionnels de la musique de l’hexagone peinent à comprendre cette musique et cherchent à en faire la nouvelle variété. À part quelques précurseurs, personne ne comprend que l’on assiste à la naissance d’un courant important en France.
Rhoda Tchokokam, autrice de l’enquête, en retrace les coulisses de cette période embryonnaire, de N Groove et leur titre “New jack swing” aux compilations du label Sensitive de Benny Mapala, dont le nom du livre découle. Les acteur·ices de ce mouvement ont des parcours différents, mais qui se trouvent comme point commun les barrières érigées par une industrie qui ne veut pas de ce genre incarné par des personnes issues de minorités et venant souvent des quartiers populaires. En donnant la parole à des artistes précurseurs du mouvement (K-Reen, LS, Cool Jam, Hasheem, Sophie Afoy), un producteur (Patrice Anoh) et le créateur du label Sensitive (Benny Malapa), l’autrice met l’accent sur les premiers efforts pour faire connaître le genre.
Une histoire du R&B Français revient aussi sur les tentatives des observateurs de la première heure du R&B d’investir les colonnes des revues spécialisées rap, qui entrouvre leurs portes, pas forcément de bon cœur, ou sans comprendre réellement le R&B, ses artistes et leurs récits. Dans Sensibles, Rhoda Tchokokam constate que l’absence de médias dédiés au genre a desservi la cause des artistes du R&B français, et place la stigmatisation que le genre et ses interprètes subissent comme une des causes puis des conséquences de cet écueil.
La stigmatisation du R&B
En retraçant l’histoire du R&B français de ses premiers vibes à aujourd’hui, l’autrice évoque des périodes qui convoquent chacune leur lot d’interrogation et donnent à réfléchir sur les idées sexistes, racistes et discriminatoires présentes dans notre société, reflétées à la fois dans les textes du R&B, mais aussi dans le manque de considération envers ses représentant.e.s. K-Reen, figure majeure du genre, ouvre son album Himalaya par une séquence téléphonique résumant bien tous les problèmes qu’a rencontrés le genre.
Preuve du mépris subi, les artistes féminines, fréquemment appelées pour le refrain sur des morceaux de rap, ne sont souvent même pas créditées sur les morceaux sur lesquels elles posent leur voix. L’ouvrage nous apprend que ce phénomène concerne un tiers des morceaux hip-hop sortis entre 2000 et 2004. C’est le cas de morceaux iconiques comme “Cendrillon du ghetto” de Matt Houston et Lord Kossity qui invite Karima, sans la créditer, ou “Une affaire de famille” d’Ärsenik et Doc Gynéco ou Assia subit le même sort. Cette invisibilisation perdure alors que ces tubes doivent une partie de leur succès populaire à leurs refrains.
L’ouvrage déroule le fil sonore du R&B français de ces débuts aux années 2000 ou naissent des tentatives plus ou moins réussies de marketer le R&B afin de le proposer à de nouvelles audiences. On balaye donc les efforts pop du groupe Tragédie, et les rapprochements avec des musiques arabes via les compilations Raï‘n’B, qui gagne des auditeurs, mais s’éloignent de ce qui faisait la singularité du courant. En s’intéressant dans les dernières pages à la scène R&B actuelle, l’autrice fait aussi le lien entre le R&B le rap et le zouk, et montre comment des artistes d’aujourd’hui, catégorisés dans le R&B ou non, s’inscrivent dans le prolongement de ce genre.
On va le dire simplement, vous ne trouverez pas plus riche, complet et pertinent sur le sujet que Sensibles une histoire du r&b français. L’autrice a même pensé à celles et ceux qui voudraient s’imprégner du son R&B en dévorant le bouquin, en incluant une discographie pour accompagner votre lecture de vibes sensibles.