Boards Of Canada nous fait perdre toute notion du temps.
On veut tous laisser une empreinte, graver une œuvre intemporelle dans la roche, un morceau de notre être qui nous survit, un spectre témoin de ce qu’on a été. C’est l’idée du premier album du groupe écossais Boards Of Canada, Music has The Right to Children, une capsule hors du temps.
Michael Sandison moitié du groupe, avait été interviewé à l’occasion des 20 ans de l’album sorti en 1998 et confiait que « Ce que [il] aime toujours à propos de cet album, est en lien avec ce qu’il ne fait pas dans le contexte musical dans lequel il est sorti ». En gros, le groupe se plaçait à contre-courant de la musique de son époque, ou plutôt bien fixe, insensible aux flots des tendances, comme un rocher qui pointe hors de l’eau dans des rapides.
À la fin des années 90 au Royaume-Uni, la musique électronique mute rapidement. Des courants naissent et remplacent les précédents en quelques mois : jungle, drum’n’bass, hardcore, garage, trance et autres maquillent les dancefloors. Producteurs, danseurs comme journalistes sont obsédés par une question : quel sera le son de demain ? Dans ce brouhaha d’anticipation, deux frères écossais trifouillent dans les tiroirs pour en ressortir des cassettes audio qu’ils collectionnaient quasi-religieusement.
Ces cassettes, les deux frères de Boards of Canada (puisqu’il s’agit bien d’eux) les cassent, les usent et les modifient pour les vieillir artificiellement et rendre impossible de dater les sons qui en sortent. En fait, ils cherchent à extraire les sons du cours des choses pour les rendre intemporels. Plutôt que le son de demain, ils cherchent à faire le son de toujours. Pour remplir cet objectif, ils se basent sur une théorie de leur propre invention : les rythmes sont soumis aux modes, les mélodies, elles, durent dans le temps.
Leur manière de créer la musique a amené les critiques à les considérer comme pionnier musical de l’hantologie, mouvement fondé par Jacques Villa qui questionne l’utilisation de fragments du passé pour construire de nouvelles œuvres. Simon Reynolds, auteur de Retromania écrit à propos du groupe « Les textures artificiellement délavées et décolorées de Broads Of Canada suscitent le genre de sentiments que vous ressentez en regardant de vieux films personnels parsemés de taches de couleur, ou en feuilletant un album de famille rempli d’instantanés qui virent au jaune automnal. C’est comme si tu assistais à la disparition de tes propres souvenirs ».
Avec Music has the Right to Children , le groupe créé un assemblage rythmique de vieux samples de vinyles craquelants, de voix d’enfants d’un passé lointain et de musique électronique aux notes nostalgiques. Un concept que l’on retrouve sur la pochette du disque, une photo de famille usée, où les visages ont été effacés, rendant le cliché aussi universel (tout le monde peut y appliquer les visages qu’il le souhaite) que fantomatique. Voici donc une mélodie tirée de leur album, si elle revient plus tard dans votre vie, c’est qu’ils auront réussi leur pari.