Au bord de l’étang de Berre, cette journaliste et romancière férue de plongée nous immerge dans l’inéluctable futur océan planétaire… où, après force mutations, nous « phosphorerons de nouveau dans les grandes profondeurs ».
« Il faut bien noyer son chagrin. » Au tout début de La Canine de George, son dernier roman publié ce mois-ci aux éditions de l’Observatoire, Sigolène Vinson confie, sans spécifiquement la nommer, la peine qui l’étreint encore quand elle pense à ceux qui sont « morts sous ses yeux » : ses amis et collègues de Charlie Hebdo, assassinés le 7 janvier 2015. Miraculeusement épargnée par les tueurs, elle se console aujourd’hui en tombant amoureuse de George Harrison, ou plus exactement : de l’une des dents de l’ex-Beatle, une canine pointue, qui chevauche l’incisive. Un « cas d’école », d’après une étude dentaire des années 60, prétexte à un récit transgénérationnel entre Liverpool et l’utopique ex-« ville libre » autogérée de Christiana, à Copenhague. Et comme dans n’importe quel album des Fab Four en groupe ou en solo, toutes les fantaisies sont autorisées.
L’un des personnages, Angelo, « gourou repenti et astrologue de pacotille », rêve par exemple qu’il « avale la mer », baignant dans un amas de cellules originelles, « milliers de poches minuscules et translucides (…) dotées d’un cerveau dont l’activité neuronale produit une douce lumière fluorescente, à moins que ce ne soit les rais du soleil qui donnent même au plancton un air d’intelligence, car tout brille. »
Un songe proche du futur désirable formulé par Sigolène Vinson, férue de plongée sous-marine et qui, depuis l’étang de Berre (Bouches-du-Rhône), glisse sur son surf pour se rendre près du port où est amarrée notre Arche. « Ce serait bien qu’on se débrouille pour que tout fonde. Les océans recouvriront 100% de la planète. On se taillera des branchies dans le cou ou derrière les oreilles, pour pouvoir respirer et ne plus jamais, mais alors plus jamais remonter à la surface. Les plus doué.e.s d’entre nous seront même parvenus à s’atrophier de tous leurs membres, le cœur et le cerveau en premier. Et tout redeviendra comme avant, mais pas avant quand c’était mieux : au moment de la cellule originelle, du dernier ancêtre commun universel, quand on phosphorait dans les grandes profondeurs et qu’on se laissait bercer par les courants. On se souviendrait qu’on est tout petits dans l’univers et que notre galaxie surfe sur un océan spatial. »
Habillage : Juste Bruyat.
Pour écouter l’utopie sous-marine de David Wahl, c’est ici : https://www.nova.fr/news/david-wahl-demain-locean-sera-uni-aux-villes-42130-17-11-2020/
Image : Waterworld, de Kevin Costner (1995).