Un ovni musical à l’épreuve du temps et des modes
La programmation de Nova d’une seule voix a élu James Blake, de James Blake, album de l’année 2011, une belle longueur d’avance sur le gruppetto de bons disques parus cette année. « Ne fais pas de classement, tu mets James Blake c’est tout », Emile Omar prêche un converti. C’est ok. Et notre RKK contrôleur discal a validé. Contrôle qualité.
Tout le monde n’est pas d’accord ici, mais cet artiste dont tous les médias ont parlé cette année, de Nova au Figaro, a le mérite d’avoir remporté l’unanimité. Des sites Resident Advisor ou Pitchfork, soit la pluie et le beau temps sur les nouvelles sorties, jusqu’aux radios nationales, cet unanimisme peut faire peur aux puristes qui ont du mal à encadrer le succès commercial, mais nous fait dire qu’il y a tout de même un semblant de justice sur ce marché sans pitié de la musique.
Presque un an après la sortie du disque, et après en avoir entendu parlé un an durant, il est temps de dire pourquoi on l’aime tant et comment il a changé la Face du son. Et rappeler qu’il ne l’a pas volé, son plébiscite > Mettez lecture sur le player tout en bas de l’article sous la vidéo pour un petit medley.
Une grosse tendance musicale démarrée en 2010 a explosé en 2011, c’est l’arrivée dans les salles de concert et le marché du mainstream des musiques dites undergound, des genres « de nuit » expérimentaux, des artistes jusqu’ici cantonnés aux productions en chambres d’ado et aux Dj Set en club. Et le gros des troupes est britannique.
James Blake, Jamie XX, Mount Kimbie et consorts sont passés des limbes nocturnes à la partie visible de l’iceberg, l’overground, en fusionnant des techniques pointues de productions électroniques à des sons palpables, mécaniques, et des instrumentalisations très concrètes, en associant leur savoir-faire niveau machines avec même de la pop pur jus. On voit donc déballer des procédés jusqu’ici rigoureusement ghetto comme le Screwed and Chopped, entendu dans la playlist ghetto by Shmitto (du hip hop ralenti sous l’effet de la codeine) par des petits blancs-becs londoniens sur des tubes R’n’B, alternant de manière analogique les tonalités. C’est Jamie XX qui remixe Adele pour un tube planétaire passé par Nova. C’est James Blake qui reprend Feist pour Limit to your love, mélodie playlistée sur Nova. Et c’est surtout ce James Blake qui en a fait la fusion parfaite. Entre Dub-Step, neo-soul et folk savante, il a créé un genre unique, homogène, à fleur de flow.
James Blake est le fils du guitariste et chanteur James Litherland. Un musicien raté, n’ayons pas peur des mots. Un bide commercial qui a le mérite de rendre Blake tout relatif sur son propre succès. Par-dessus le marché, modeste. Et si la mode en dents de scie le met au creux de la vague, ses talents de producteurs, de pianiste concertiste ou de DJ sauront faire ce qu’il faut.. Son père n’a pas connu de succès dans les bacs, pour autant il n’est pas dénué de talent, dans la catégorie folk savante.Son fils lui a rendu le plus beau des hommages, avec ce qu’il sait faire de mieux : une cover d’un de ses titres. Ainsi, le morceau Where to turn devient sur le premier album du fils le petit chef d’oeuvre The Wilhelm Scream (en vidéo live à la BBC ci-dessous).
Très vite le petit James s’intéresse au R’n’B (premier album acheté ? Destiny’s Child) et surtout au piano et aux chanteurs claviéristes. « Je n’ai pas grandi avec de la musique pour guitare contrairement à mes amis, qui écoutaient du rock et du métal. Moi j’écoutais toujours des trucs avec beaucoup de piano et de voix. Les premiers artistes que j’écoutais, c’était Stevie Wonder et D’Angelo, ou même la chanteuse Joni Mitchell » disait-il en février 2011 au micro d’Isadora Dartial pour son Dans Les oreilles.
En parallèle à cette éducation piano en noir et blanc, James Blake, plutôt introverti, aime l’anonymat des raves et des clubs monumentaux de Grande-Bretagne. Il y va seul, pour danser seul, aime la vraie culture club et se passionne pour le dubstep. Lors des mythiques soirées DMZ du duo Digital Mystikz, il trouve enfin sa vocation. Pendant que Burial et tout popularisent le genre, Blake commence à mélanger son piano Satiesque avec ces breaks dubstep.Tout seul dans sa chambre, après ses cours de musicologie, tapi derrière les cristaux liquides, il trouve son son. Son son unique. Des basses vrombissantes, des textures métalliques solides, des montées progressives mais explosives, et un résultat à l’impossible subtilité. En home studio, là où beaucoup accouchent d’une qualité minable, notre fils prodigue est en pleine possessions de ses petits moyens et l’air de rien produit une densité de son digne des plus grosses prods.
Il ne manque au pot-pourri qu’une voix. La sienne. Et quelle voix. Beaucoup la taxe de Soul ; il accepte l’hommage mais se méfie de l’épithète utilisé un peu partout. Oui, le rythme et ses envolées sont ceux d’une voix soulful. Mais ce grain, ce grain qu’il met en morceau au clavier mieux qu’avec n’importe quel vocoder ; ce grain-là, qui semble vibrer avant d’atteindre les cordes vocales, cette puissance sinusale d’un coffre de fond de bouche va plutôt piocher dans la folk. On entend son père, on reconnaît du Arthur Russell – qu’il adore – , Robert Wyatt, et la voix sourde magnifique d’Antony and the Johnsons. Une voix magnifique cuisinée à l’étouffée.À l’instar de Bon Iver outre-atlantique, il sait à merveille harmoniser sa propre voix, poussant le vice jusqu’à faire des acapella autotunés. Avec Bon Iver, le coup de foudre artistique est tel qu’à distance il produisent courant 2011 un bijou aboyant, Fall Creek Boys Choir. À des milliers de miles l’un de l’autre, ils accordent leurs violons sur Skype. Un duo mêlant les hymnes forestiers et abandonnés de Bon Iver et les breaks teintés de sons si physiques de Blake. Pas un accroc diplomatique.
Le voici donc armé jusqu’aux dents avec cette recette bariolée très délicate à maîtriser. Il sort dans l’intimité un premier EP et c’est notre Gilles Peterson en personne qui le premier tombe amoureux de ces textures inconnues. Ce découvreur de talent devant l’éternel a le pif de l’inviter pour un mix spécial de deux heures sur BBC 1, alors que James est inconnu au bataillon. Le jeune virtuose propose ses sons, dont son premier signé chez R&S, gros label techno belge, intitulé CMYK. Il joue aussi un inédit de ses amis de Mount Kimbie et, marrant, passe un disque de Blundetto (l’avatar de Max, programmateur de Nova). Il tape désormais dans l’oeil d’une tripotée de labels.
Nous sommes le 29 mai 2010, et après cette session tout va aller très vite. Fin 2010 sa reprise de Feist Limit To Your Love, le propulse en tête des charts anglophones et en haut de l’affiche sur les Internets. En 3 mois dans sa chambre, James Blake plie l’album éponyme parfait, ce que certains ont mis une vie à abattre : un bijou d’une cohérence inouïe devant l’étendue des références. En ce mois de février 2011, nous sommes tous scotchés. Et le live à la Maroquinerie à Paris qu’une poignée de chanceux découvre confirme toutes les attentes. En petite formation à 3, James Blake, beau comme un camion, parvient à l’aube de sa carrière à donner une performance entière avec une qualité de son pas possible. Le comble, c’est qu’il n’est pas énervant.
Après un été à se remettre de ses émotions, sauf un passage au WorldWide Festival de Sète pour remercier sa bonne étoile Gilles Peterson, James Blake enchaîne les petits EP, les featurings, les cadeaux 2.0 pour les internautes. En septembre, il assouvit notre besoin transi de nouveaux sons labellisés Blake avec plus de deux heures de mix pour la BBC, son essential mix à écouter/télécharger ici…
Ruddy Aboab, le programmateur des Nuits Zébrées s’est endormi avec pendant très longtemps. On trouve quelques inédits dedans, qu’on reconnaît inévitablement entre Satie ou André 3000. Unique je vous dis.
James Blake s’est échappé en début d’année du peloton et n’a jamais été rattrapé. Maintenant il s’agit de s’avoir combien de temps il va tenir la cadence et s’il va réussir à préserver son originalité. Sinon, après son EP sorti en décembre, Blake n’a rien de prévu pour l’instant. il va falloir s’armer de patience.