Le sens de la vie selon le cinéma uruguayen : absurde mais optimiste.
La comédie uruguayenne a un drôle de sens de l’humour. Curieusement plus à froid, plus dans une humeur nordique que latino. On avait même cru voir chez Pablo Stoll, quand on l’avait découvert, via les films qu’il réalisait en binôme avec Pablo Rebbella (25 Watts– 2001- puis Whisky -2004), un cousinage avec les premiers films de Jim Jarmusch, par ce sens de l’économie carburant au féroce, du minimalisme cependant rempli par la satire.
Les trois en questions sont Ana, une adolescente, Graciela, sa mère et Rodolfo, son père. Une famille qui n’en est plus tout à fait une depuis que les parents ont divorcé. Mais au bout de dix ans, Rodolfo aimerait bien que tout redevienne comme avant, et va tenter de reprendre sa place auprès d’Ana et Graciela. Pas de bol, ça tombe au moment où leurs vies sont en plein bouleversement.
A une époque où l’on parle beaucoup de familles recomposées, 3, chronique d’une famille singulière, se demande si les morceaux peuvent se recoller, s’ils peuvent de nouveau s’ajuster. Jusque-là le cinéma de Stoll observait surtout les dégâts causés par le statisme, l’incapacité des gens à communiquer, le voilà qui s’extériorise, s’implique, fait de la place à ses personnages pour qu’ils puissent s’épanouir, évoluer.
Ana et Graciela, drôle de paire fusionnelle, se retrouvent régulièrement pour regarder leur telenovela fétiche mais vont devoir apprendre que la vie n’est pas un soap opera. Et qu’elle peut vite virer au mélo si on ne fait pas gaffe. Surtout quand papa, maman et fifille ont un sérieux penchant à la depression.
Stoll les accompagne dans une convalescence, ouvre le rideau, un peu sombre, de ses films précédents, pour laisser passer la lumière de l’espoir. Et c’est ce qui est beau dans 3 chronique d’une famille singulière, ce temps de la rémission, ce sourire en coin qui s’esquisse et qui deviendra peut-être un jour une vraie rigolade. Au gré de saynètes dont le ton s’affine, s’installe, ce film s’illumine progressivement.
Notamment autour d’Ana, le centre névralgique du film. Une ado, finalement comme les autres : elle ne sait pas vraiment ce qu’elle veut si ce n’est profiter de la vie. A travers elle, 3 chronique d’une famille singulière, rappelle justement que le sens de la vie est absurde, puisqu’il consiste à la regarder passer, que l’adolescence n’est pas l’âge de la rebellion ou du binge drinking, mais celui de l’attente qu’il se passe quelque chose. Mine de rien, sous ses airs ultra-modestes, il s’en passe beaucoup dans cette comédie plus douce-amère que neurasthénique, quand le quotidien en pilote automatique est repris peu à peu, en main par ces trois personnages.
Pas question pour autant, d’aller flirter avec un happy-end autour d’une famille réunie, Stoll est lucide. Il n’est pas dit qu’Ana, Rodolfo et Graciela renoueront avec le bonheur de leurs premières années ensemble, ni qu’ils feront de nouveau un bout de chemin les uns à côté des autres. 3 chronique d’une famille singulière joue plutôt la carte de la franchise, quitte à ce qu’elle soit douloureuse en certifiant que le carcan familial n’est valide, ne peut être harmonieux que si on y creuse des brèches, si la liberté individuelle au sein de groupe reste possible. Si la porte reste ouverte sur une aventure aussi minimaliste soit-elle.
En salles le 24 avril. Plus d’infos sur Allociné.