On a passé le weekend à Laval pour l’édition 2015 d’un festival pachydermique.
Samedi soir, 20h, sous un grand chapiteau. Les 4 rockers de Ought s’élancent sur scène et balancent leur bon vieux rock indie teinté de punk pour réveiller le public qui commence à arriver. Premier fan du quatuor montréalais : un garçon aux bras interminables et aux longues dreads remontées en chignon, accroché au premier rang depuis le début du concert. Son nom : Shamir. Dans quelques heures, ce sera à son tour de monter sur scène…
Bienvenue aux 3 Eléphants, festival lavallois où les artistes sont eux-mêmes des fans. Le genre de festival où de jour comme de nuit, dans une grande salle comme au détour d’une rue, on n’est jamais au bout de ses surprises. Et puisqu’on n’a pas souvent l’occasion d’aller à Laval, voici quelques bonnes raisons de l’envisager sérieusement.
Un éléphant à la mer
Cette année aux 3 Éléphants, c’était ambiance palmes-masque-tuba : ici un palmier, là un aquarium tropical, dans un coin une bande de filles-poissons qui répètent leur choré. Le thème, pas compliqué, a fédéré tous les publics : des familles avec enfants aux lycéens imbibés en passant par les couples de retraités, le site accueille 4 à 5000 personnes par soir. On se balade de hamacs en hamacs en dégustant une bonne fouée, spécialité locale que l’on ne saurait trop vous recommander.
Ambiance mers du Sud aux 3LF / Crédits : Lame de son
Cette année, une trentaine d’artistes sont programmés sur ces 3 jours. Pop, soul, hip-hop, techno, funk ou même punk hardcore, Jeff, le programmateur, ne s’interdit rien : « Je fonctionne au coup de cœur. Cette année, pour réunir les artistes qui m’avaient tapé dans l’œil, j’ai du tirer sur la corder et boucler la prog à la dernière minute ! »
Résultat : les quelques têtes d’affiche comme Christine & The Queens ou Brodinski côtoient de jeunes pousses dénichées à droite et à gauche – BadBadNotGood, Marco Barotti, Godbless Computers, Public Service Broadcasting… Tous ces groupes, Jeff, en place depuis la naissance des 3 Eléphants en 1998, les a découverts sur scène : « J’écume les festivals toute l’année pour dénicher des pépites qui fonctionnent bien en live. Un super disque qui ne donne rien sur scène, ça ne m’intéresse pas. »
3LF by night
Et on s’en rendra vite compte : aux 3LF, c’est bien de live qu’il s’agit. Le groupe danois Alo Wala sera le premier à nous le démontrer avec sa puissante bass music aux accents sono mondiale. Longue tresse et robe dorée, la chanteuse Shivani Ahlowalia fait monter la température en quelques minutes : on pense à M.I.A ou encore à Skip&Die, et puis en fait non, ils ont bien leur truc à eux. Le lendemain soir, les festivaliers seront toujours en train de fredonner l’entêtant refrain de Cityboy.
Alo Wala ovationnés / Crédits : Lame de son
Deuxième claque quelques heures plus tard avec les Ninos Du Brasil, un duo qui, comme son nom ne l’indique pas, nous arrive d’Italie. La formation est simple : deux capuches, deux batteries et quelques machines. La méthode l’est tout autant : frapper très fort et courir partout. Le résultat, aux confins des rythmes sud-américains, du noise et de la techno bien lourde, dégage une énergie assez rare – on sortira de la performance des 2 niños lessivés, mais heureux.
Le lendemain, la performance des jumelles franco-cubaines Ibeyi s’impose comme le moment de grâce du festival. Tout en élégance, les deux sœurs mêlent soul électronique et chants yoruba, maniant à la perfection l’art de l’harmonie et du silence : la foule reste suspendue.
A peine plus précoce qu’Ibeyi, c’est ensuite au tour de Little Simz de nous électriser. La toute jeune rappeuse anglaise, 20 ans à peine et 50 kilos toute mouillée, réclame au public « a hundred percent energy » et emporte tout le monde avec son flow impitoyable : pas le choix. Un vrai moment street cred.
Little Simz fait son show / Crédits : Lame de son
Dans notre petit calepin à la page « trucs à réécouter », on a aussi griffonné les noms de Batida, groupe de kuduro croisé trop furtivement, et de Marco Barotti, l’homme à l’intrigante batterie pneumatique. Pour Jeff, le défi est de rassembler ces petites perles émergentes aux côtés d’artistes qui ont le potentiel de déplacer des foules : résultat, « ceux qui sont venus voir Christine & The Queens connaissent maintenant Badbadnotgood ! »
3LF by day
Samedi matin, le soleil se lève et Laval se lit toujours dans les deux sens. Les 3 Éléphants eux aussi se réveillent pour le deuxième volet du festival, qui se déroule dans la rue. A chaque recoin de la ville son spectacle : cour d’école, tour d’un château, foyer de jeunes…
De cet aprem à déambuler, on retiendra Batman vs. Robespierre, pièce dans laquelle la compagnie Grand Colossal Théâtre nous conte avec drôlerie et poésie l’histoire d’un homme qui perd tout, jusqu’à se retrouver en slip. On se souviendra aussi de la performance conjointe de Serge Teyssot-Gay et Paul Bloas : le musicien bordelais et le peintre brestois entament en public un dialogue guitare/pinceau, où chaque note complète une couleur, où chaque trait inspire un accord. Un peu plus loin, le groupe de punk local Birds in Rows donne un concert sauvage. Et là-bas c’est le clown Léandre, juché sur son iceberg, qui cherche des poux à sa partenaire sous les yeux grand ouverts des gosses qui redécouvrent leur cour de récré.
Dans la cour de l’école devant le clown Léandre / Crédits : Camille Diao
Ces spectacles gratos essaimés dans toute la ville offrent une autre porte d’entrée dans le festival : « Les familles tombent dessus par hasard pendant leur balade dominicale, puis se laissent emporter », estime Jeff.
3LF sur l’eau
C’est au fil de l’eau que le festival trouvera sa conclusion dimanche après-midi, avec la dernière surprise du weekend : Kid Francescoli sur un bateau. Il est 17h, et sous une pluie battante quelques privilégiés embarquent pour une remontée de la Mayenne, bien à l’abri. A bord, la magie opère vite : le Kid et sa Julia sont d’un charme désarmant, leur douce électro-pop s’écoule le long de la rivière…
Les 3 Eléphants auront eu le mérite de nous rappeler que les meilleurs festivals sont souvent les plus humbles. Seule ambition des Lavallois : surprendre à chaque acte et servir de bons lives sur un joli plateau. Les meilleurs moments auront aussi été les plus inattendus : on repart de Laval avec un bagage musical un peu plus lourd que prévu, et ça, c’est plutôt bon signe.