À écouter en manif aujourd’hui, chez soi, tous les jours de l’année, pour se rappeler que la lutte pour les droits des femmes s’est faite, et se poursuit, en musique.
Une playlist Deezer et Spotify, des histoires, des meufs, joyeux 8 mars.
Nina Simone, « Mississipi Goddam » (1964)
Le jour de son premier concert, Nina Simone a dix ans. Ses parents, tous deux ouvriers, s’installent au premier rang dans l’église. Mais on les fait déménager vers le fond, pour laisser la place à des blancs. La petite fille, de rage, refuse de jouer tant qu’on n’a pas ramené ses géniteurs à leur juste place et jamais plus elle ne se laissera faire.
Eunice Kathleen Waymon se baptise Nina Simone, rêve d’une carrière d’instrumentiste classique et propose une musique plus populaire afin de gagner sa vie. En 1964, en plein mouvement des droits civiques, son album Nina Simone in Concert, signé sur Philips, se termine par une protest song : « Mississipi Goddam », un hommage au militant des droits civiques assassiné Medgar Evers et une dénonciation des églises brulées par les membres du Klu Klux Klan en Alabama. Sortie en single, la chanson sera boycottée dans de nombreux états du sud des États-Unis. Après cela, Nina Simone s’inscrit comme une figure politique artistique. Elle chante dans les meetings, compose des hymnes féministes, reprend le mythique « Strange Fruit » de Billie Holiday, écrit aussi « Backlash Blues » ou « To Be Young Gifted & Black ». Elle décède en 2003 des suites d’un cancer du sein et fait éparpiller ses cendres dans divers pays d’Afrique.
Aretha Franklin, « Respect » (1965)
Le titre « Respect » a été écrit et enregistré à l’origine par Otis Redding, mais Aretha Franklin qui l’a transformée en hymne des mouvements des droits civiques et des droits des femmes lors de son ascension au premier rang du Billboard Hot 100 en 1967.
Sorti en 1965, le morceau originel parle du point de vue d’un gus qui travaille dur et pense qu’en rentrant du boulot le soir, il devrait y trouver « un peu de respect », notamment de sa femme, puisque après tout c’est lui qui renfloue le compte en banque. Bon. En 1965, le jour de la Saint-Valentin, Aretha Franklin est en studio et décide de reprendre le titre en changeant donc les rôles. Ses sœurs font les chœurs et un véritable hymne féministe était né. C’est un peu l’ancêtre du « Je veux te voir » de la géniale Yelle, sorti comme une réplique à un titre du groupe TTC et plus particulièrement à un de ses MC nommé « Cuizinier »… Yelle, tant qu’on y est, est clairement dans l’équipe des visionnaires féministes musicales (très) cool. Elle a écrit une ode à son sextoy, « Mon Meilleur Ami » (et on était en 2007!) ou encore le hit « 85A » dans lequel elle demande globalement qu’on arrête de la faire chier avec la taille de ses boobs.
Chavela Vargas, « La Llorona » (1994)
Chanteuse de ranchera, apanage des hommes qui vivent dans les ranchs et chantent la solitude et les déceptions amoureuses, féministe et symbole d’émancipation pour la communauté homosexuelle mexicaine, Chavela Vargas chantait, avec un timbre et une profondeur déchirants, l’hypocrisie de la société, le rejet de sa famille homophobe et son amour éperdu des femmes. Née au Costa Rica, elle fugue au Mexique à ses 17 ans et c’est là-bas qu’elle construira sa carrière. Dans les années 50, cette femme qui chante en pantalon, fume des gros cigares, porte son pistolet à la ceinture et s’enfile des shots de tequila, c’est assez peu commun. Elle se lie d’amitié (peut-être même un peu plus?) avec Frida Kahlo et elle a chanté son amour lesbien jusqu’à sa mort, à 93 ans, en 2012. « Je veux qu’à mon enterrement, les putains et les ivrognes se mettent devant. Les autres suivront”.
Queen Latifah, « U.N.I.T.Y. » (1993)
Nous sommes en 1993, les icônes rap émergentes sont masculines et Queen Latifah, like a queen, sort ce morceau. Elle y raconte notamment une agression de rue lorsqu’un gars de son quartier se permet de lui toucher les fesses et la traite de salope. « Huh, je l’ai frappé à mort dans les yeux, « Qui traites-tu de salope ? » Ouais ! »
U.N.I.T.Y. est devenu un hymne et est encore samplé par moult artistes actuels. All Hail the Queen Latifah.
Calypso Rose, « No Madame » (1974)
Elle vient de Trinité-et-Tobago, et s’est appelé Calypso Rose parce qu’elle s’est illustrée dans le monde (très masculin) du calypso, un genre musical typique de ces îles des Caraïbes. Elle sort le titre « No Madame » dans les années 70, alors qu’elle a déjà percé. Elle a par exemple été élue « Calypso King » du célèbre carnaval annuel de Trinité-et-Tobago, « Cette année-là, se souvient-elle dans une interview pour Libération, Lord Kitchener [célèbre chanteur] avait parié 10 000 dollars que je ne remporterais jamais le prix. Il a dû manger son chapeau et régler sa dette. J’ai fait don de la somme aux hôpitaux. » « No Madame » dénonce les conditions misérables des employées de maison sur ses îles natales. Le succès du morceau va pousser le gouvernement tribadien à voter de nouvelles lois pour augmenter le salaire minimum de ces travailleuses, en 1974. Avec 30 albums à son actif, Calypso Rose a signé, à 75 ans, chez Because Music aka le label de Red/Christine and The Queens ou encore Metronomy.
Brigitte Fontaine, « Patriarcat » (1977)
S’il y en a bien une qui s’en cogne du regard des hommes, et lèvera volontiers le majeur à quiconque osera lui dire qu’elle ne pourrait pas faire ce qu’elle veut, c’est Brigitte Fontaine.
Chanteuse de la lutte nonchalante et zinzine à souhait, tout en poésie, elle écrit « J’ai apporté joyeusement mes pierres pour reconstruire l’honneur des femmes. » Elle a lu Les Vagabondes, de Colette, seize fois et compte bien être immortelle (pour ça qu’elle se trouve dans notre contre-playlist d’enterrement). Et pour vous faire vivre ce personnage génial, il est bon de (ré)écouter « What a fucking night », les coulisses de ce concert unique au Printemps de Bourges, en hommage à notre Reine Brigitte Fontaine, en sa présence exquise. Ah que la vie est belle !
Les Vulves Assassines, « Queen Kong » (2022)
Que serait une playlist de la lutte féministe sans Les Vulves Assassines ? Probablement comme un burger sans pain, comme une fête sans musique, comme la cigale sans avoir chanté tout l’été, comme le Sénat sans rejeter le congé menstruel. Bref, vous l’avez, ce ne serait pas une playlist de la lutte féministe. Bien qu’à la rédac’, on aime beaucoup « J’aime la b*te mais pas la tienne », c’est Queen Kong qui rentre dans cette playlist, sorti en 2022 dans l’album Das Kapital. Un groupe punk qu’on adore et qui ambiancera des manifs jusqu’à ce qu’on l’ait, cette retraite à 60 ans. C’est l’heure de la fureur !
Davinhor, « Opinel 12 » (2022)
Très (très) bon son pour aller marcher aujourd’hui. Ok ?
Little Simz et Cleo Soul, « Woman » (2021)
Un morceau en hommage aux meufs qui inspirent cette meuf qui elle-même inspire beaucoup de meufs. « Never giving credit where its due cos you don’t like pussy in power ». Biberonnée à Missy Elliott ou Lauryn Hill, elle est incontestablement l’une des artistes rap mondiale les plus intéressantes. On aurait aussi pu mettre « Persons », titre d’ouverture de son album dans lequel elle clame « Women can be kings ».
Amaarae feat Moliy, « SAD GIRLZ LUV MONEY » (2020)
La star de la scène alternative ghanéenne Amaarae rappelle qu’il faudrait mieux dégager le passage et qu’elle va se faire payer. Sa musique est un appel à l’empouvoirement pour toute la jeunesse ghanéenne.
Sabrina Bellaouel, «We Don’t Need to be ennemies» (2020)
La face A de son projet « Libra » est, selon ses propres mots, « une musique de lutte, ou chaque composition s’intéresse à des questions liées au genre, au sexe, aux sociétés ou à l’identité ». Dans ses visuels, Sabrina Bellaouel utilise souvent la figure de Kahina, une reine guerrière berbère de la région des Aurès, considérée comme la première féministe du Maghreb et même de l’Histoire.
On parlait de la poigne de fer de cette redoutable combattante et cheffe militaire. « Kahina » ça veut dire « prophétesse ». C’est le surnom que lui ont donné ses adversaires qui disaient volontiers que ses décisions étaient faites sur les conseils « dictés par les connaissances surnaturelles que ses démons familiers lui avaient enseignées » (parce qu’une femme avec autant de pouvoir doit être une sorcière…).
Sexy Sushi, « Non c’est définitif » (2013)
On a dit non.
Let me be great – Sampa the great
Un titre à la hauteur de son nom, Sampa the Great est aussi poétique que politique. Sa musique mystique et moderne prend sa source à la fois dans le hip-hop de Lauryn Hill et la soul d’Erykah Badu.
Nova l’a rencontrée lors d’un voyage en Australie.
ENNY, « Peng Black Girls » (2020)
L’ode aux femmes noires de la rappeuse londonienne ENNY, signée sur le label FAMM de Jorja Smith. A propos de ce titre, ENNY dit : « Lorsque je regarde autour de moi, ma famille, mes amis ou même des femmes au hasard, j’hallucine en pensant au fait que la société et même notre propre culture nous répètent que nous ne sommes pas jolies à cause de la couleur de notre peau ou de certains traits physiques. Avec du recul, Peng Black Girls était juste pour moi un premier pas vers le détachement de tout cela et le fait d’être heureuse comme je suis… Une Anglo-nigériane du sud-est de Londres, complexe et avec des traits physiques particulièrement africains ».
ROSALÍA, « Chicken Teriyaki » (2022)
Le son d’une boss, tout simplement. Mystique et puissante depuis ses débuts, Rosalia incarne une audace musicale qui marque clairement son époque.
Sahra Halgan, « Kiidhaba » (2019)
Sahra Halgan est une artiste iconique du Somaliland, pays de la corne d’Afrique indépendant depuis 1991, mais non reconnu par la communauté internationale. C’est pendant les années 80, engagée dans la terrible guerre contre la dictature, qu’elle reçoit le surnom de « Halgan », la combattante. Son troisième album mêle savamment des riffs de guitare rock abrasifs, des claviers vintages avec de la chanson somalienne. Halgan nous emmène voir des paysages inattendus de la sono-mondiale.
Encore un tas de morceaux à (re)découvrir dans notre playlist :
- Grace Jones, « I’ve Seen That Face Before »
- SAULT, « Free »
- Charlotte Adigéry et Bolis Pupul, « Making Sense Stop »
- Missy Elliott, « Get Ur Freak On »
- Princess Nokia, « Tomboy »
- Santigold et Spank Rock, « Shove It »
- Solange et Sampha, « Don’t Touch My Hair »
- Erykah Badu, « On & On »
- Björk, « Humas Behaviour »
- The Last Dinner Party, « Nothing Matters »
- Yoa, « indécise »
- Bonnie Banane, « Cha-Cha-Cha »
- Billie Eilish, « my future »
- SZA, « Drew Barrymore »
- L’Impératrice, « Peur des filles »
- Joy Crookes, « Feet Don’t Fail Me Now »
- Cesária Évora, « Sodade »
- Astrud Gilberto et Antonio Carlos Jobim, « Agua de beber »
- Noname, Eryn Allen Kane, Akenya, « Reality Check »
- Princess Erika, « Trop de bla-bla »
- Salt-N-Pepa, « None Of You Business »
- Marlena Shaw, « Woman Of The Ghetto »
- Betty Davis, « They Say I’m Different »
- Donna Summer, « Bad Girls »
- Diana Ross, « The Boss »
- Chaka Khan, « I’m Every Woman »
- The Lijadu Sisters, « Come On Home »
- Amy Winehouse, « You Know I’m No Good »
- M.I.A., « Bad Girls »
- Bagarre, « Claque-le »
- M¥SS KETA, « UNA DONNA CHE CONTA »
- Marie Davidson, « Work It »
- Astéréotypie, « Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme »