Prévu pour 2020, ce n’est qu’aujourd’hui qu’A Bright Room Called Day peut enfin être joué sur les scènes françaises, à l’heure où le paysage politique hexagonal se teinte de brun à longueur d’antenne, de sondage, d’inepties racistes, réac, pétainistes – la basse oeuvre d’un Zorglub rance soutenu par un multimilliardaire machiavélique. (Au passage, à ce sujet, allez donc lire la dernière chronique de Guillaume Meurice dans Siné Mensuel, tout est dit en quelques lignes.)
C’est dire si cette pièce résonne avec le contexte, l’air du temps, le zeitgeist – appelez ça comme vous voudrez selon votre degré de précision (ou de snobisme). Le texte de l’auteur américain Tony Kushner (prix Pullitzer pour Angels in America), écrit en 1985 sous la présidence de l’ancien comédien de série B Ronald Reagan, épinglait le glissement des démocraties occidentales vers un autoritarisme néolibéral, un fascisme rampant toujours plus loin et plus vite. Modifiez les noms, changez Reagan par l’ex-animateur de télé-réalité Donald Trump, le constat demeure aussi alarmant.
Tout part d’un réveillon où une bande d’ami.es, trentenaires, cultureux urbain.es, qui célèbrent le passage d’une année l’autre en se gaussant de l’ascension d’une figure de l’extrême-droite. Le lieu, l’époque ? Les coordonnées se superposent : Berlin 32, New-York dans les 80s ou en 2015. On peut ajouter l’Italie pré-Berlusconi, la Grande-Bretagne d’avant le Brexit, la France de 2021. À mesure que la blague tourne à la réalité saumâtre, le groupe se fracture, entre les cabré.es et les collabos, les indécis.es, les rallié.es et les insurgé.es. Parmi ces dernier.es, Tony Kushner met en avant la colère, l’emportement, la virulence cinglante d’une punk, d’une anarchiste afro-américaine qui placarde, partout où elle le peut, la nouvelle équivalence : « Reagan = Hitler ». Qui devient, réactualisé dans cette nouvelle version, de Charybde en Scylla, de Ronald à Donald, « Trump = Hitler ». Ou comment chanter avec Bashung : « C’est comment qu’on freine ? J’voudrais descendre de là… »
Faisant rejoindre la petite histoire et l’Histoire (avec une grande hache), les stigmates du passé et les épouvantails du présent, vers lesquels certain.es glissent et contre lesquels d’autres luttent, A Bright Room Called Day a quelque chose d’une salutaire interrogation sur les farces tragiques de la politique (on salue la « Grille du Coq » d’Armel Hemme et Sarah-Lou Bakouche) comme du politique contemporain.es. Une farce infernale et engagée, menée sans relâche par Catherine Marnas, à laquelle Nova Bordeaux vous offre des places, par le biais d’un mot de passe Nova Aime, sésame À RENSEIGNER JUSTE ICI.