Le retour des oubliés.
Le Musée de l’Orangerie des Tuileries à Paris propose une exposition rare et oxygénante sur des peintres américains des années 30, inconnus en Europe, à part l’éternel Edward Hopper. Il est temps d’élargir notre goût.
La dépression américaine ajoutée aux influences d’Europe avait cassé bien des blocages. Les artistes américains découvraient des possibilités incroyables grâce aux expressionnistes, futuristes, surréalistes, et en plus leur système en crise ne dictait plus de critères moraux ou esthétiques !
Personnalités marginales et peintures libres
Ainsi un peu partout, des personnalités marginales se firent jour, avec des peintures libres, incroyablement variées, tant pour le style que pour le fond. Des paysages, des paysans, des symboles, mais aussi des villes, cinémas, night clubs ou plages… Et même des toiles de révolte ou d’angoisse.
Du pas vu chez l’Oncle Sam, qui dictait des peintures décoratives, historiques, mièvres ou idéalisées. Tout d’un coup, avec la crise monétaire de 1929 et la surproduction agricole qui jette à la rue des milliers de fermiers, les vannes de l’inconscient s’ouvrent…
Le pays immense n’a pas vraiment d’académisme. Certains artistes ont dû, pour vivre, faire des illustrations de presse ou de pub, d’où leur liberté dans le choix des formes, des angles, des cadrages.
Le style « arty » , inspiré des tableaux célèbres, ne s’était pas encore posé comme une chape de ciment, et l’Amérique n’avait pas encore été frappé par l’abstrait, le pop puis le minimalisme desséchant.
Avec les 50 toiles de l’exposition, on assiste à une floraison de personnalités indépendantes, originales, hors de tout cadres ou obligations, un peu comme notre facteur Cheval en France. Une série de cas uniques !
Autour d’Hopper : des cas uniques
Thomas Hart Benton, qui fut le prof de Jackson Pollock, peint des scènes rurales comme en mouvement, ondulant dans le ciel. Paul Cadmus laisse apparaître la chair sous les vêtements plaqués : une sensualité de foule. Georgia O Keefe met ses fleurs géantes au cœur de décors symboliques. Joe Jones montre un lynchage de femme noire par le Klu Klux Clan. Reginald March est un Hopper plus raffiné et vibrant. Grant Wood trace comme un primitif flamand une Amérique rurale lisse et inquiétante, souvent vue d’avion !
Toutes ces visions, styles, effets, sont comme un kaléidoscope de l’Amérique profonde, insondable, entre John Steinbeck et William Faulkner, qui ont si bien décrit cette période efflorescente et créative malgré les drames et la violence de l’entre-deux-guerres L’Amérique archaïque et variée, marginalisée par le monde moderne et par le nouvel académisme artistique.
La Peinture américaine des années 1930, « The Age of Anxiety ». Jusqu’au 30 janvier 2017 au Musée de l’Orangerie (avec des films, des actualités, des photos et des documents d’époque).
Crédits
Charles Demuth (1883-1935) …And the Home of the Brave (… Et la patrie des braves), 1931 Huile et graphite sur toile, 74.8 x 59.7 cm Chicago, The Art Institute of Chicago, Alfred Stieglitz Collection, don de Georgia O’Keeffe © The Art Institute of Chicago
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Georgia O’Keeffe (1887-1986) Cow’s skull with Calico Roses (Crâne de vache avec roses), 1931 Huile sur toile, 91.4 x 61 cm Chicago, The Art Institute of Chicago, Alfred Stieglitz Collection, don de Georgia O’ Keeffe © The Art Institute of Chicago © Georgia O’Keeffe Museum / ADAGP Paris 2016
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Thomas Hart Benton (1889-1975) Cotton Pickers (Cueilleurs de coton), 1945 Huile sur toile, 81.3 x 121.9 cm Chicago, The Art Institute of Chicago © The Art Institute of Chicago © T.H. and R.P. Benton Testamentary Trusts / ADAGP Paris 2016 Grant Wood (1891-1942) American Gothic (Gothique américain), 1930 Huile sur panneau d’aggloméré, 78 x 65.3 cm
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Chicago, The Art Institute of Chicago, Friends of American Art Collection © The Art Institute of Chicago Joe Jones (1909-1963)American Justice (Justice Américaine), 1933 Huile sur toile, 76,2 x 91,4cm Columbus Museum of Art, Ohio, achat du musée, Derby Fund, à la Philip J. and Suzanne Schiller Collection of American Social Commentary Art 1930-1970 (c) Reproduced with the permission of James Jones
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Paul Cadmus (1904-1999) The Fleet’s In ! (La flotte est à quai !), 1934 Tempera sur toile, 76,2 x 152,4 cm Collection of the U.S. Navy Naval History and Heritage Command, Washington, DC © Courtesy of U.S. Navy Art Collection, Naval History and Heritage Command © Art © Jon F. Andersion, Estate of Paul Cadmus / ADAPG, Paris 2016