La réponse semble de prime abord évidente : comme la plupart des œuvres, la propriété intellectuelle d’un tag devrait revenir à l’artiste. Mais si je tague la voiture de mon voisin, et qu’il conserve son véhicule, est-ce qu’il devient propriétaire de mon graffiti ?
Du 2 au 25 septembre prochain, les Ateliers éclairés de Strasbourg accueilleront la 4ᵉ édition de Colors, un festival qui met la culture street art à l’honneur. Dans la palette, on trouve une expo (extérieure et intérieure), un parcours pour les plus jeunes et des artistes venus de France, Belgique, Cambodge ou Espagne.
Ouvert les samedis et dimanche, le festival propose également une conférence ce jeudi 8 septembre qui traite d’un sujet un brin curieux : “Le street-art, l’art et la loi. La propriété intellectuelle au service des artistes”, animé par Pierre Moignet, conseiller en propriété intellectuelle.
C’est une question épineuse et qui en appelle d’autres. À qui appartient donc un tag ? La SNCF est-elle propriétaire de tous les graffiti sur ses rames ? Comment défend-on les droits d’un art qui (dans une grande partie des cas) est réalisé de manière illégale ? Est-ce que l’idée même de copyright est alignée sur la philosophie du mouvement street art ?
Propriété & Propriété Intellectuelle
Un entretien avec Pierre Moignet nous apprend que “quand on fait un tag, à partir du moment où il est original et qu’il est extériorisé, il y a un droit de propriété intellectuelle qui prend naissance”. Il précise : “la propriété intellectuelle (du graffiti), dépend de comment se comporte le propriétaire (du mur). Si le propriétaire de l’immeuble ou de la maison se comporte comme si l’œuvre était vraiment une œuvre, c’est-à-dire qu’il met un plexiglas dessus, ou s’il casse son mur et qu’il le revend à une galerie d’art, par exemple. Eh bien, à ce moment-là, il y a le droit de propriété intellectuelle qui s’applique.”
Là, on parle de tag “sauvages” fait au débotté lors d’une virée et par des artistes relativement inconnus du grand public. Mais le street art ne se limite pas à ça. Des artistes comme M. Chat en France, ou Banksy, Shepard Fairey à l’international font, eux aussi, partie de ce milieu. Est-ce qu’ils évoluent dans les mêmes sphères ? Est-ce que si Banksy tague ma maison, je peux l’effacer sans lui demander son avis, puisque c’est sur ma maison ? “C’est difficile d’effacer directement une œuvre d’un artiste connu. L’artiste peut agir en justice pour s’en prendre au propriétaire. Mais par contre, le droit n’est pas totalement clarifié sur la question.”
Protect your Graffiti
Dans ce cas, comment peut-on garantir la sécurité de son œuvre en tant que street artist méconnu ? Comment réduire aussi les risques liés à cette activité (illégale dans beaucoup de cas) ? Si demain, je passe plusieurs heures à peindre une fresque sur un mur, je serai peiné d’apprendre qu’il a été effacé le lendemain. Et puis, l’on pourrait défendre l’idée qu’une œuvre visible par tous pourrait rentrer dans les biens communs puisque tous les yeux qui tombent dessus en profitent.
Alors comment faire ? “On peut essayer de se prémunir en essayant de créer des preuves de son droit. (…) Ça veut dire déposer une marque, par exemple avec son nom, pour protéger son blaze, ça, c’est quelque chose qui peut se faire. Autre chose, déposer une enveloppe Soleau (ndlr. moyen de preuve de création) ou là, on met ses œuvres, ça ne coûte quasiment rien et au moins, on a une preuve vraiment certaine de son droit.“
Paris sous les bombes
Bien que des limites légales se dessinent peu à peu, on ne peut pas dire que ces théories juridiques fassent l’unanimité, ni au sein de la communauté des graffeuses et graffeurs, ni chez les juristes. Le copyright n’est pas nécessairement aligné sur la philosophie de toutes les personnes qui pose des tags et le graffiti n’est pas un art pour tous les juristes (et donc pas défendable en tant que tel, certains le considèrent uniquement comme de la dégradation).
On comprend bien que le cadre de tout ceci n’est pas encore tout à fait défini. Chaque cas est différent et la célébrité de l’artiste pèse lourd dans la balance. Il faudrait que de nouvelles affaires arrivent pour que le droit évolue, et qu’on lui puisse répondre certainement à la question. Alors à vos bombes ! (Et n’oubliez pas de prendre vos précautions, on ne sait jamais).
Pour approfondir la question, rendez-vous à la conférence “Le street-art, l’art et la loi. La propriété intellectuelle au service des artistes” ce jeudi 8 septembre au festival Colors, c’est gratuit, comme le reste de l’événement.
Toutes les citations proviennent d’un entretien entre Pierre Moignet et l’auteur.
Un texte issu de C’est Bola vie, la chronique hebdomadaire (lundi au vendredi, 8h45) de David Bola dans Un Nova jour se lève.