Michael Winterbottom habille avec pudeur le biopic d’un magnat de l’érotisme kinky. Dans les salles le 19 juin
Paul Raymond. Une icone popu au Royaume-uni, un inconnu en France. En 1992, Raymond fut désigné homme le plus riche d’Angleterre. L’homme régnait sur un empire bien différent de celui de la couronne britannique.
L’industrie du sex-business lui avait même permis de décrocher un titre, celui de King of Soho, quartier où ce natif de Liverpool, débarqué « avec cinq livres en poche » fit fortune, en devenant patron de cabarets érotiques puis éditeur de Mens only, la revue porno la plus connue du pays.
Il y avait bien là de quoi faire un biopic, celui d’un équivalent anglais d’Alain Bernardin, le légendaire patron du Crazy Horse devenu celui de Marc Dorcel.
>> interview du réalisateur à (ré)écouter ici.
Matt Greenlagh, s’y connaît en biographies personnages anglais hors du commun. Ce scénariste à rédigé Control, sur la vie de Ian Curtis, le chanteur de Joy Division, puis Nowhere Boy, retour sur les années pré-Beatles de John Lennon. C’est une autre musique que chante A very englishman: une mélodie du malheur.
Si Raymond et ses millions étaient enviables en public, en privé, l’homme avait une vie moins folichonne: navigant à vue entre ses maîtresses, généralement recrutées parmi ses danseuses, et sa fille à qui il a tenté de passer les rênes, mais qui s’est laissé déborder, jusqu’à être submergée par un manque de reconnaissance, ou d’avoir vécu dans l’ombre d’un père trop voyant.
A very englishman s’ouvre à la manière de Citizen Kane : un magnat esseulé, vieillissant, enfermé dans sa citadelle, fait le point sur sa vie, pour s’apercevoir qu’il l’a loupée. Raymond a tout eu sauf l’essentiel : l’amour. Evidemment, le parcours de ce monarque du stupre ne cherche pas être l’égal de celui de King Kane. Mais il y a pourtant bien un point commun avec Orson Welles : ce réalisateur se méfiait des scènes de sexe à l’écran, jurant que c’était une des choses qu’on ne pourrait jamais vraiment restituer à l’écran. Montrer des gens qui baisent, oui, mais incarner leur expérience émotionnelle du coït, ça jamais.
Winterbottom a pris le problème à l’envers : le sexe, il l’a déjà filmé. Et plus d’une fois, des scènes non simulés de 9 songs, au plan vaginal de Code 46 ou aux étreintes sado-maso de The killer inside me. On connait la capacité à être cru de ce réalisateur.
Paradoxalement, A very englishman est d’une grande sobriété. Ici on effeuille, on ne dénude pas. Sans doute parce que si le décorum est celui d’un docu(l)-fiction, le fonds est des plus sentimentaux.
Ou parce que la part de reconstitution de ce film est ailleurs, dans la visite d’un quartier de Londres et d’une époque plus vraie que nature. Couvrant, majoirtairement, de la fin des années 50 à celle des années 70, A very englishman fait renaître sans qu’on s’en aperçoive deux décennies folles, entre décadence kinky et easy listening, entre Austin Powers et Vivienne Westwood. De la moustache de Steve Coogan aux motifs des tapisseries, des miroirs aux plafonds aux moquettes épaisses, la déco est sidérante de réalisme.
Elle accompagne parfaitement les années folles du Larry Flynt made in britain qu’était Raymond: un type jouant de la liberté d’expression, de la libération sexuelle pour en faire un business juteux dont il s’est enivré, puis ensniffé, oubliant sa fille Debbie dans cette brume, fille à papa incapable de rivaliser avec les pépées qui entouraient son géniteur.
L’une des scène les plus étonnantes d’A very englishman reste celle où elle se lance dans une piteuse carrière de chanteur, notamment pour une version quasi aphone de The look of love, le tube mélancolique de Burt Bacharach et Hal David.
Plus de doute, il est bien question ici de regard (celui de Raymond, comme de son entourage, aveuglés par la réussite) pas d’amour. Plutôt de tendresse, quand c’est malgré tout avec une certaine compassion que Winterbottom observe ce prolo devenu richissime, un homme à femmes – autre séquence imposante, ce dîner entre Raymond et son fils, abandonné des années plus tôt, avec qui il a une relation paternaliste et non paternelle, qui ne les aura finalement jamais compris. Il les aura mises à poil, mais jamais vraiment à nu.
En salles le 19 juin