L’album essentiel d’un artiste engagé.
À l’instar de beaucoup d’artistes de Los Angeles, le producteur et multi-instrumentiste Adrian Younge fait partie de cette génération de musiciens bercés à la fois par la culture hip-hop et la musique des grands jazzmen. Un mélange d’influences qui lui a permis, pendant sa carrière, de collaborer avec des grands noms des deux mondes, parmi lesquels les rappeurs Kendrick Lamar ou Ghostface Killah.
Mais c’est avec Ali Shaheed Muhamad, pionnier de la fusion jazz-rap avec le légendaire A Tribe Called Quest, qu’Adrian Younge lie une amitié musicale et humaine durable. Les deux musiciens fondent en 2017 le label Jazz Is Dead, à travers lequel ils produisent l’année suivante la bande originale de la série Luke Cage, et enfin depuis 2020, une série d’albums collaboratifs (Jazz Is Dead) avec des légendes du groove international, de Tony Allen à Marcos Valle.
Véritable touche-à-tout, Adrian Younge revient en 2021 pour son premier album solo depuis cinq ans, The American Negro. L’album s’inscrit dans un projet artistique global très ambitieux intitulé TAN et imaginé en triptyque (un album, un podcast et un court-métrage) dans le cadre du Black History Month. Cette célébration de la culture noire, qui a lieu au mois de février aux Etats-Unis, a bien sûr été marquée cette année par la contestation, après des mois de soulèvements populaires face aux manifestations répétées de racisme systémique.
Une contestation à laquelle Younge contribue par ce nouvel album, présenté comme la critique acerbe et sans compromis d’une Amérique profondément divisée par des siècles d’oppression. À commencer par la pochette du disque, où l’on voit un homme noir lynché.
Décrit par son auteur comme étant son projet le plus ambitieux et important à ce jour, The American Negro plonge dans les traumatismes de l’Amérique, disséquant l’origine et les manifestations du racisme à travers son Histoire. Derrière la chaleur de l’orchestration et la beauté du chant, le ton est grave, les textes puissants. Les appels enflammés à la révolution, à la justice (magnifique titre « Revolutionize ») laissent place à des interludes poétiques de spoken word.
Younge revient sur les épisodes les plus douloureux, les plus insoutenables, du pays (l’esclavage, les lois Jim Crow), nommant certains des morceaux d’après des victimes de ce système de violence (James Mincey ou George Stinney Jr). Selon le compositeur lui-même, la musique est « le moyen par lequel la dignité et l’estime de soi seront redonnées au peuple [noir] ». Par ce disque, il entre en résonance avec les grands libérateurs de la parole noire dans la soul music, de Gil-Scott Heron à Marvin Gaye en passant par Nina Simone et Sly Stone. Un manifeste percutant et magistral qui marquera au fer rouge l’année 2021.