Espigoule se jumelle avec le Sénégal. Une savoureuse galéjade au gout de mafé.
Espigoule. Ne cherchez pas sur la carte ou se trouve ce village du Var. Il n’existe que dans la mémoire de quelques milliers de spectateurs. En 1999, Christian Philibert invente la chronique plus vraie que nature de ce bout de terroir provençal, entre déconne « avé l’assent » et tranche de vie d’authentiques habitants de Ginasservis, le hameau ou il habite. La galéjade prend, jusqu’au-delà de la loire, Les 4 saisons d’Espigoule devient un phénomène. La légende du Phacomochère, bestiole imaginaire dont on parle beaucoup dans le film, prend quasiment le relais de l’histoire de la fameuse sardine tellement grosse qu’elle a bouché le port de Marseille, finit par rimer avec Peuchère. Espigoule, c’est un croisement frontalier entre Groland et Pagnol.
Quinze ans plus tard, Espigoule pourrait bien se jumeler avec Toubacouta, coin perdu du Sénégal. C’est là-bas que Jean-Marc, le patron de l’estaminet du village a décidé de passer ses premières vacances de retraité. Dans ses bagages, Momo, son pote de toujours, d’origine Nord-africaine. Pour les accueillir sur le sol africain, Modou, chauffeur de taxi un peu margoulin, qui flaire la paire de bons pigeons.
Afrik’aïoli n’est pas une suite des Quatre saisons d’Espigoule, mais une sorte d’extension. Pas vraiment non plus un remake par Guédiguian des Bronzés quand l’idée n’est surtout pas d’opposer cultures blanches et noires mais de les rapprocher, de ramener sous une même bannière, un monde black-blanc-beur, ayant pour ambassadeurs ses trois pieds nickelés dans la brousse.
Ce n’est peut-être pas pour rien que Jean-Marc tenait un troquet à Espigoule, Les quatre saisons… avait un côté Café du commerce à la méridionale, qu’on peut retrouver ici dans la certaine candeur d’un scénario prêt à embrasser tout le monde. Et après tout, pourquoi pas ? Sous son vernis de folklore humaniste, Afrik’aïoli relève un défi plus complexe que prévu : rester simple, toucher à une vérité dans les rapports. Etre une fable africano-méridionale certes, mais aussi avoir des vélléïtés documentaires pour relater un choc des cultures.
Sans même que Philibert le précise, il est évident que son scénario n’est qu’une ébauche, une base à partir de laquelle les dialogues sont très probablement, pour la plupart improvisés, puisant dans une réalité. Celle d’acteurs et de decors qui n’en sont pas.
Afrik’aïoli a été tourné à l’arrache, en une quinzaine de jours, chez l’habitant. Sans doute pour s’acclimater au bordel naturel qu’est l’Afrique, son indolence comme son chaos. En acceptant de se laisser porter naturellement par les évènements, Jean-Marc et Momo, laissent le temps à la mayonnaise de prendre, à l’aïoli, emblème provençal s’il en est, de saucer un mafé. Ou aux hymnes des supporters de l’O.M de s’accorder au son de la kora.
Ce n’est pas parce qu’à Espigoule on porte des espadrilles que Philibert fait du cinéma à gros sabots : Afrik’aïoli s’adapte à certains clichés pour mieux les retourner. Jusqu’à ne pas faire des ces picaresques tribulations, du Jean Rouch. Ou alors sous un angle inversé, plaçant un regard documentaire plus sur Jean-Marc et Momo et leur culture occitane que sur Modou et son identité sénégalaise. Philibert a la décence de ne pas filmer des noirs qui découvrent l’homme blanc, mais des péquenauds provençaux qui ne sont jamais sortis de chez eux, et s’éduquent au contact des moeurs et valeurs sénégalaises, pour découvrir qu’elles ne sont pas si éloignées des leurs. Pas de vision anxiogène du monde ici, mais un retour aux sources, celles de Tartarin de Tarascon et de son burlesque bon enfant.
Afrik’aïoli n’a rien à voir avec Rendez-vous en terre inconnue : ici, on ne fait pas du tourisme bobo-sociologique pour ramener une émotion fabriquée comme breloque. Philibert fait avant tout de la place à l’autre, de manière incroyablement spontanée. C’est sans doute ce qu’il y a de plus fort dans ce film, cette capacité à ne pas s’arcbouter sur des réflexes culturels, traiter tout le monde d’égal à égal. Mais sans vouloir asséner de discours, ni gommer des traits de caractères un peu épais, comme cette franchouillardise diluée dans le pastis.
Ils sont atténués par le (très) bon esprit d’Afrik’aïoli, n’occultant jamais l’ethnocentrisme comme le racisme, mais les désamorçant en les observant du coin d’un oeil rigolard sans être dupe.
En salles dès le 22 janvier