Recontre avec le producteur et DJ anglais après son set au festival Château Perché.
DJ et producteur de UK Garage, l’Anglais Alec Falconer développe une musique progressive et captivante. Avec le label Panatype qu’il a co-fondé avec Harry Wills en 2017, il développe de l’ambient et même de la musique concrète en accompagnant l’artiste Matthias Puech. Entretien, au festival Château Perché, avec un producteur qui se lève aux aurores pour composer et fait danser les gens jusqu’au lever du soleil.
Quelle impression gardes-tu de ton set, du public et du festival ?
Alec Falconer : Pour mon premier festival français, c’était tellement fou ! Les gens n’ont pas arrêté de danser malgré la pluie. Il y avait même un gars, complètement nu, qui dansait comme un fou. C’est ça la meilleure vibe qu’on puisse trouver dans un festival. C’est mille fois mieux que ce qu’on peut trouver dans une boîte à Paris, à Londres ou même à Berlin. J’adore jouer en plein air, ça me procure une sensation de bien-être.
Dans une interview pour Dure Vie, tu disais que tu venais de t’acheter une MPC 2000XL et que tu allais beaucoup l’utiliser. C’est le cas ?
Alec Falconer : Même si mon ordinateur est vieux, je bosse beaucoup avec Ableton. C’est le truc que je connais le mieux. Si j’ai une idée de morceau, je peux le finir en quatre heures sans hésitations. Mais avec la MPC, je ne peux pas, j’arrive pas à trouver toutes les fonctions… ça me frustre.
J’adore les samples un peu bizarres
Et quel est ton rapport au sample ? Quel rôle lui attribues-tu dans tes compositions ?
Alec Falconer : Le sample fait partie d’une culture : quand les gens entendent un son qu’ils connaissent, comme une sirène ou un klaxon, ils se chauffent. Personnellement, j’adore les samples un peu bizarres.
Pourquoi es-tu venu t’installer à Paris ?
Alec Falconer : C’était pour ma copine à l’époque. J’avais hâte d’habiter en France. Vous êtes vraiment obsédés par la nourriture et la boisson… j’adore ça ! Ce pays m’intéresse énormément car on n’a pas la même culture du terroir en Angleterre. J’ai vécu à Paris trois ans, après avoir vécu à Londres, mais je suis retourné vivre dans le Kent, dans la ferme de mes parents. La semaine, je vis une vie très calme avec ma grand-mère et le week-end je joue. C’est un bon yin yang, ça permet d’avoir un équilibre.
Ce déménagement, ce n’était donc pas forcément pour la musique ?
Alec Falconer : Il y a une super scène à Paris, mais c’est comme ça dans toutes les grandes villes d’Angleterre. Aujourd’hui à Londres, la scène musicale est dix fois mieux que quand j’y habitais. Ils ont agrandi le truc à fond avec des afters illégaux dans des forêts, sous des bateaux… Tu vas gagner vingt balles pour ton set, mais ça peut vraiment être la meilleure expérience de ta vie.
Tu as fondé Panatype, un label de musique ambient. Pourquoi une telle direction ?
Alec Falconer : La musique ambient, c’est un véritable coup de cœur. Quand je prends l’avion, au départ et à l’arrivée, je mets un track d’ambient à fond dans mes écouteurs pour me relaxer. Je trouve cette musique intense et les DJ d’ambient plus intéressants que la plupart.
C’est pourtant assez différent de ce que tu as l’habitude de proposer en tant que producteur. Par exemple, Matthias Puech propose de la musique expérimentale ou concrète qui pourrait habiller des films.
Alec Falconer : Honnêtement, je sors la musique que j’écoute en ce moment. Avec Harry, on a fondé Panatype car on est à fond dans l’ambient. D’ailleurs, j’ai des tracks d’ambient qui ne sont jamais sortis.
Matthias est un mec génial ! On rencontre des gens comme ça qu’une ou deux fois dans sa vie. Il programme chacun de ses synthétiseurs et la manière dont il mélange ses field recording avec ses sons d’ambient, c’est un truc de ouf ! Il est incroyable !
En quoi ça t’inspire/influence ensuite dans ta musique ou ton rapport au son ?
Alec Falconer : Pour moi, l’UK garage et l’ambient sont totalement différents. J’aimerais arriver à les mélanger, mais pour l’instant je n’y arrive pas.
Je me lève très tôt, vers 6h. Je mets mon casque et je commence à faire de la musique en expérimentant
Comment travailles-tu ta musique ?
Alec Falconer : J’en fais quotidiennement : je me lève très tôt, vers 6h. Je mets mon casque et je commence à faire de la musique en expérimentant. Jusqu’à ce que l’idée du track arrive dans ma tête. Dans un petit créneau de dix minutes, j’essaye toutes les différentes mélodies qui pourraient se trouver dans la track. Je les joue au piano, je prends une petite tasse de thé… et après ça, j’ai une bonne idée de ce que sera le morceau.
Pour moi, l’inspiration arrive dans un petit créneau de dix minutes, et le reste du track c’est juste une question d’arrangements au niveau du kick, du snare etc. Si tu ne profites pas de l’inspiration, elle s’en va. Tu peux toujours modifier un EQ, mais pas l’inspiration. Tu ne peux pas la retrouver quand tu veux.
Quels sont, selon toi, les ingrédients d’un bon club ?
Alec Falconer : C’est simple. Tout d’abord, il n’y a pas de scène élevée : tout le monde est au même niveau, même le DJ. Quand tout le monde regarde dans la direction du DJ, c’est assez nul. Dans les boîtes comme Robert Johnson, Panorama Bar ou Fabric, tout le monde est au même niveau. Les meilleures boîtes, c’est quand tout le monde dans ensemble, y compris le DJ.
L’autre ingrédient, c’est qu’il y ait assez de place pour te mettre au calme. Le Berghain est un bon exemple : la piste n’est pas énorme, mais il y a beaucoup d’endroits où tu peux te relaxer. Et quand c’est comme ça, tu peux rester dans un club quelques heures. Plus que quelques heures même : douze heures, dix-huit heures, vingt-quatre heures… Au Berghain, tu peux même commander des glaces au bar.
Une super boîte finalement, elle est plus impressionnante quand tu pars que quand tu arrives. Le Panorama Bar, par exemple, c’est juste un bar avec un DJ. Tu entres en te disant « ah c’est juste ça… », mais quand tu pars, tu réalises et tu te dis « ah ouais, c’est ça ! ».
La house ou la techno sont des musiques répétitives, qui brisent la notion du temps. Est-ce que ces musiques, et même la bass music, t’aident à tordre le temps et la réalité ?
Alec Falconer : En musicologie, qu’on parle de Mozart ou d’un autre artiste, ce qui est beau c’est la répétition. Avec une musique répétitive, tu peux avoir de petits éléments qui, au fur et à mesure, modifient le morceau et le rendent beau. Beaucoup de DJ font ça, comme Ricardo Villalobos.
Pour nos parents, la techno c’est juste quelque chose qui fait « boum boum boum boum »… Mais pour nous, quand on est sur la piste, on écoute surtout les petites variations. C’est pas l’énorme kick ni l’énorme snare, mais ce sont les éléments qui modifient le morceau petit à petit qui le rendent beau.
Selon toi, ça veut dire quoi être perché ?
Alec Falconer : Je pense qu’il y a un million de sens. Ça peut être de la drogue ou de la musique aussi. Pour moi, c’est la musique.
Visuel © Jan Bernet Photography