Les interprétations et théories sur le conte de Lewis Carroll vont bon train.
Les aventures d’Alice au pays des merveilles, conte fantastique de Lewis Carroll, vient de se classer deuxième dans le sondage des plus grands livres pour enfants de la BBC. Pendant un siècle et demi, il a inspiré des films, des peintures. Mais est-il une allégorie sur la culture de la drogue, une parabole de la colonisation britannique ou bien le désir de l’auteur pour une héroïne qui souffrirait d’envie de pénis ?
Écrit pour Alice Liddell, 10 ans, et ses sœurs
Le livre a commencé modestement en 1862, écrit pour Alice Liddell, 10 ans, et ses deux sœurs alors qu’elles naviguaient sur la Tamise avec le mathématicien Charles Dodgson. Le succès fut tel qu’Alice insista pour que Dodgson le transcrive, ce qu’il fit avec ses propres illustrations détaillées, dédicacé « Un cadeau de Noël à un cher enfant en mémoire d’un jour d’été ». Il porte le nom de plume sous lequel il avait précédemment publié de la poésie : Lewis Carroll.
Les indices d’un désir pédocriminel ?
Les filles Liddell n’étaient pas les seul‧es enfants avec lesquels Dodgson s’est lié d’amitié, et bien qu’il n’y ait aucune preuve de quoi que ce soit d’explicitement fâcheux dans ses relations avec elles, de notre point de vue du 21ᵉ siècle, il est difficile de ne pas considérer comme nauséabond un homme adulte qui demandait à de jeunes filles de s’asseoir sur ses genoux et de poser pour des photos, parfois nues ou semi-nues.
Les biographes se sont longtemps penchés sur la question de la véritable nature de l’attachement de Dodgson envers les petites filles. Souhaitait-il épouser Alice ? Avec le déclin de la pruderie victorienne et la naissance de la théorie psychanalytique, les Aventures d’Alice au pays des merveilles semblaient beaucoup moins innocentes.
En réexaminant le texte, les critiques ont trouvé de nombreuses images limites, du terrier du lapin lui-même au rideau qu’elle doit écarter. Les serrures et les clés sont considérées comme symboliques du coït, et la chenille – eh bien, n’était-elle pas juste un peu… phallique ?
Karoline Leach fait partie de ceux qui n’y croient pas, elle s’attaque à cette théorie avec une découverte en 1996. On lit dans la presse que le 27 septembre 1863, un événement eut lieu, qui poussa la mère des trois fillettes à couper toute relation avec Lewis Carroll. Le journal intime que l’auteur tenait avec minutie et rigueur aurait pu expliquer cette coupure si la page du 27 septembre 1863 n’avait pas été arrachée.
Karoline Leach découvrit, dans des archives, un bout de papier sur lequel la nièce et gardienne des papiers de Lewis Carroll a résumé les pages censurées du journal. Elle écrit alors : « L. C. apprend de Mme Liddell qu’on murmure qu’il utilise les enfants afin de courtiser la gouvernante – et murmurent aussi qu’il fait la cour à Ina (surnom de Lorina, la sœur aînée d’Alice). » La suite semblerait indiquer que, face aux rumeurs sur ses désirs, Carroll aurait volontairement rompu les liens.
Dans un documentaire de la BBC, Vanessa Tait, l’arrière-petite-fille d’Alice Lidell avait confié avoir grandi en ayant connaissance de choses « étranges » dans la relation entre Carroll et ses ancêtres Lidell. « Je pense qu’il était très amoureux d’Alice, mais qu’il était tellement résigné et refoulé qu’il n’aurait jamais transgressé toutes les limites. Je pense que c’était un homme très étrange, les personnes qui réfutent cela et le blanchissent totalement ont tort. »
Ou bien l’histoire d’une enfant qui devient adulte
Des lectures plus nuancées ont considéré le parcours d’Alice comme étant moins une question de sexe en soi que la progression d’une fille à travers l’enfance et la puberté jusqu’à l’âge adulte. Notre héroïne se sent mal à l’aise dans son corps qui subit une série de changements extrêmes ; son estime de soi se déstabilise, la laissant incertaine quant à sa propre identité.
Une allégorie politique
Mais il n’y a pas que du sexe et de la drogue. Un autre courant de critiques considère Alice comme une allégorie politique. Lorsque notre héroïne se lance à la poursuite du Lapin Blanc, elle se retrouve dans un endroit qui, malgré toute son étrangeté loufoque et déconcertante, est gouverné par une reine colérique – Parlait-il de la reine Victoria ? Et puis il y a ce goûter sans fin entre chapeliers fous. Alice serait-elle une parabole des troubles de l’alimentation ? Une chose est sûre, Alice est un monde encore bien mystérieux…