Emportée fin novembre par un cancer, cette féministe et pionnière de la BD underground nous avait donné sa définition de l’amour longue durée. Bye-Bye, Honeymoon !
« Qu’est-ce que l’amour ? », ai-je demandé à Aline Kominsky-Crumb un samedi pluvieux de janvier 2012, envoyé par Nova au festival d’Angoulême. Pionnière de la BD underground, cofondatrice d’un magazine féministe de référence (Wimmen’s Comix), cette sexagénaire venait à l’époque de publier chez Denoël Parle-moi d’amour, BD maousse marrante conçue à deux – textes ET dessins, via des variations de style assez fendardes – avec son génie de mari salace prénommé Robert.
Fin novembre, Aline s’en est allée croquer les dieux & déesses de son panthéon, probablement n’importe comment, à cause d’un foutu cancer du pancréas. J’ai crié pour qu’elle revienne, mais ça n’a servi à rien. Voici donc la réponse à la question cruciale.
Aline Kominsky-Crumb :« Oh la la. C’est supporter quelqu’un au quotidien, avec toutes les douleurs et les joies, pendant quarante ans, sans être fidèle ou monogame, avec des enfants ou des ex-maris, tout en restant stimulé·e par l’autre, en prenant du plaisir à le/la voir matin et soir, ou après deux jours de séparation.
C’est avoir toujours quelque chose à dire, et l’envie de rester toute une vie ensemble. J’avais vingt-trois ans quand ma relation avec Robert a commencé, j’étais évidemment une enfant, et s’il avait voulu me coincer, m’enfermer dans une relation, ç’aurait été impossible. Mais comme nous étions souvent séparé·e·s, avec des amants, des aventures, d’autres ami·e·s, ça a marché, parce que nous avions confiance l’un envers l’autre.
Mais je ne proposerais pas ça à tout le monde, car beaucoup de gens ne pourraient pas le supporter. Il faut avoir un lien presque spirituel. Croire à un destin commun et souhaiter partager cette expérience. Laisser l’autre vivre et respirer. Ce n’est pas toujours gai, excitant, romantique, mais ça peut être riche. Je connais aussi des couples hyper-fidèles, comme mes parents, qui sont ensemble depuis cinquante ans – moi ça m’aurait tuée, mais pour eux, ça marche.
Dans tous les cas, il faut avoir confiance. Ne pas s’angoisser si l’autre s’éloigne. J’accepte qu’il y ait d’autres femmes dans la vie de mon mari, si elles sont sympathiques et qu’elles m’aiment aussi. Celles qui voulaient me tuer, qui le poursuivaient un peu trop assidûment, j’avais envie de les tuer moi aussi ; Robert, non, j’ai juste envie de lui donner des baffes ou un coup aux fesses de temps en temps. Et quand il essaye de m’embrasser, j’ouvre en grand la bouche et j’avale complètement mon mari ; ça me fait des lèvres pleines et jolies, pulpeuses, c’est mieux que le botox. »
Propos recueillis par Richard Gaitet.
Images : copyright éditions Denoël.