Entretien avec Denis Monneuse, sociologue du travail, sur la question du (sur)présentéisme.
Le présentéisme… On avoue avoir découvert ce mot ce week-end, dans le supplément Époque du journal Le Monde. Le présentéisme, en gros, c’est rester au bureau le plus longtemps possible pour montrer qu’on bosse. Dans Today’s Special, ça valait bien un coup de fil à Denis Monneuse, sociologue du travail, qui a étudié plus précisément le surprésentéisme.
Y-aurait-il en France, pays des 35 heures, une culture du présentéisme ?
Denis Monneuse : Effectivement, la France est connue pour avoir un présentéisme élevé, dans le sens où les Français auraient tendance à arriver tôt le matin ou à arrêter tard le soir. Pas nécessairement parce qu’ils ont beaucoup de travail, mais pour se faire bien voir à la fois par les collègues et la hiérarchie. On l’explique par le manque de confiance dans le sens où il faut faire preuve de présence, montrer que l’on a beaucoup de travail pour se faire bien voir et montrer que l’on est impliqué et attaché au travail.
La France est le pays qui a le plus fort taux de présentéisme en Europe. 62% des salariés vont bosser même lorsqu’ils sont malades, c’est ce qu’on appelle le « surprésentéisme », à ne pas confondre avec le « présentéisme contemplatif » et le « présentéisme stratégique ».
Denis Monneuse : Effectivement. Ce qu’on appelle le « présentéisme contemplatif », c’est le fait d’être présent au travail mais de faire autre chose, soit se tourner les pouces, soit gérer ses courriels personnels, réserver ses vacances etc. Ensuite lorsqu’on parle de « surprésentéisme », là ça désigne le fait de venir au travail alors que l’état de santé mériterait un arrêt de travail, parfois contre l’avis d’un médecin. Enfin le troisième phénomène est le présentéisme compétitif ou stratégique, où la volonté est de se faire bien voir en arrivant tôt le matin et en partant tard le soir.
Un peu comme s’il fallait absolument occuper l’espace pour être impliqué professionnellement ?
Denis Monneuse : Oui. Ce qui est paradoxal, c’est que dans d’autres pays au contraire, le fait de rester tard le soir pourrait être mal vu. Ça pourrait être la preuve de quelqu’un qui est mal organisé, qui a du mal à faire des priorités, à hiérarchiser les différentes tâches qu’il a à faire, ou qui a du mal à prendre du recul. On sait que c’est important de régulièrement s’aérer l’esprit, de faire autre chose, du sport, des activités artistiques… pour se changer les idées. Et souvent on trouve sa créativité et ses meilleures idées lorsqu’on fait tout autre chose. C’est parfois en prenant sa douche ou en faisant du sport qu’on peut avoir l’idée qui permet d’avancer sur un dossier qui pouvait paraître bloqué.
Il y a tout un tas de pratiques qui peuvent exister pour montrer que l’on est quelqu’un d’important
On est pas obligés d’être au bureau 1000 heures par jour pour être performant, à l’inverse rester 1000 heures ne signifie pas forcément travailler beaucoup. Vous dites d’ailleurs que les gens dépensent beaucoup d’énergie à cacher qu’ils ne font rien ?
Denis Monneuse : En effet il y a tout un tas de pratiques qui peuvent exister pour montrer que l’on est quelqu’un d’important, que le temps est compté. Ça peut passer par le fait de marcher dans les couloirs, de répéter à tout bout de champ qu’on est débordé, qu’on ne va pas avoir le temps d’aller déjeuner avec ses collègues, courir pour aller chercher un papier à l’imprimante, froncer les sourcils pour montrer qu’on est très concentré sur son travail… Il y a toute une panoplie de techniques pour donner cette image à ses collègues mais surtout à sa hiérarchie.
Pour conclure, entre le présentéisme et l’absentéisme, il y a quelque chose ?
Denis Monneuse : Oui, paradoxalement il y a un lien. Dans le sens où toute l’énergie qu’on va mettre à faire l’acteur va occasionner une fatigue, physique mais aussi psychique. Ça peut alors se transformer en maladies réelles et déboucher sur de l’absentéisme.
Denis Monneuse est l’auteur du livre Le Surprésentéisme, travailler malgré la maladie.
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