Le cofondateur de Radio Nova s’en est allé ces derniers jours. Des anciens de Nova s’en souviennent, et nous ont écrit.
C’est avec une immense tristesse que nous avons appris il y a quelques jours la disparition d’Andrew Orr, cofondateur de Radio Nova en 1981. Ancien journaliste, producteur et réalisateur à France Culture – il a signé de nombreux documentaires, curieux et exigeants, pour l’Atelier de création radiophonique -, rédacteur en chef de Gamma TV, directeur de Nova Prod OWL, il avait cofondé Radio Nova avec Jean-François Bizot en 1981. D’origine irlandaise, Andrew Orr fut d’abord, comme son père, pasteur évangéliste, avant de se tourner vers la radio. Écouter la parole des autres, puis la recueillir, une vocation et un métier qui l’ont porté jusqu’au bout. Aujourd’hui, et en marge du mix que sa compagne Catherine Lagarde a réalisé à travers les mots et les sons d’Andrew, nous recueillons les hommages de ceux qui ont tenu, à leur manière, à saluer la mémoire d’un grand monsieur de la radio française.
Thierry Planelle – Ancien directeur des programmes de Radio Nova
« À ceux pour qui deux sous de trèfle Ça valait une Craven A » (Léo Ferré, « Le Chien »).
Je suis arrivé à Radio Nova avec une émission qui s’appelait Convictions . Je crois que le nom de l’émission avait plu tout de suite à Andrew. Des Convictions, Andrew en avait aussi beaucoup. J’ai eu la chance d’apprendre la radio avec lui pendant plusieurs années à Radio Nova, d’être à ses côtés dans le studio, de travailler avec lui le son et la musique sur des bandes magnétiques, avec des magnétophones analogiques, le montage, le mixage… On pourrait appeler ça une sorte d’éducation sentimentale des oreilles.
Il fallait que le mix ait du sens, il fallait que la parole ait de la valeur, que le contenu soit intelligent, et que les nouvelles musiques soient inspirantes
J’ai réécouté une émission de France Culture sur l’histoire des radios libres où Andrew est interviewé. Il y parle beaucoup de liberté, d’innovation, de création, d’éveiller la curiosité, de voix qui accompagnent, de radio idéale, d’être comme il le disait un « artisan du son ». Nova était cette radio idéale. Andrew était très exigeant, il fallait que le mix ait du sens, il fallait que la parole ait de la valeur, que le contenu soit intelligent, et que les nouvelles musiques soient inspirantes.
Dit comme ça, ça a l’air austère, mais a l’arrivée c ‘était unique et c’était très poétique. En mélangeant tout ça, il a mis en onde la plus belle bande-son qu’on pouvait imaginer. Andrew a appris a beaucoup de gens à écouter et a faire. J’ai beaucoup appris avec lui.
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Patrick Leygonie, alias Dj Rapsode
Je considère Andrew comme mon ami. Pourquoi ?
La fusion Radio Ivre Radio Nova a été assez pénible.
À Radio Ivre nous étions une bande de saltimbanques, très nombreux qui faisions cette Radio depuis novembre 78, d’abord pirate puis libre
avec les moyens du bord.
Jean-Francois, quelques mois avant la légalisation, a démarré Nova avec une équipe restreinte, essentiellement issue de France Culture, dont Andrew Orr et Jean-Mac Fonbonne, avec un équipement de haut niveau.
Autant dire deux mondes dont l’approche radiophonique était totalement différente, voir opposée.
Andrew a vite repéré ma passion pour le son, la radio, la musique.
Je n’avais jamais vu un Revox de ma vie.
Andrew était un orfèvre du ciseau et de l’esthétique du son.
Dès le début, il m’a transmis son savoir-faire unique (l’art du montage et du mixage. Tout un monde…), issu en partie de son travail aux Nuits Magnétiques de France Culture.
Ça m’a passionné, grâce à lui j’ai appris vite et nous avons pu partager régulièrement des moments créatifs.
Il aimait bien boire un coup moi aussi.
Il aimait bien refaire le monde moi aussi.
J’ai évité au maximum tous les problèmes politiques internes de Nova pour me consacrer à l’antenne. Ce qui nous a permis au fil des années de conserver cette connivence.
Andrew était un homme complexe, très cultivé, souvent passionnant, plein de talents.
J’ai beaucoup de peine.
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Il était élégant et pointu et toujours en contrôle… et jamais enragé
Sir Ali, animateur, journaliste er producteur. Chez Nova entre 1983 et 1996
Une image – Andrew Orr était un véritable gentleman et un guerrier romantique du UK, avec un sens de l’humour impeccable, sans le côté noir de Britannique ou le fanatisme irlandais. Il était élégant et pointu et toujours en contrôle… et jamais enragé.
La transmission – J’ai appris beaucoup des choses, surtout concernant les nuances, les reliefs sonores… et aussi, j’ai osé pousser mes limites.
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Fabrice Rebois – Ancien DG de Radio Nova (91-92), ancien d’Actuel, cofondateur de Nova Production
Quand – J’ai travaillé 17 ans à Nova / Actuel. J’ai proposé et lancé un plan de redéveloppement – 60 jours pour Nova. Dans la foulée de cette première étape, nous avons créé, avec Andrew, Nova Production (qui engendrera plus tard la filiale pour le son Novaprod OWL que dirigera Andrew). Novaproduction continuera à développer la production audiovisuelle du groupe.
J’ai connu Andrew de mon entrée à Nova en 1983 peu avant qu’il n’en parte jusqu’à mon départ en 2000. Nous ne nous sommes jamais perdus de vue, surtout quand je suis devenu DG à ARTE France. Puis la maladie a estompé nos rencontres. Visite à l’hôpital, quelques déjeuners ensuite, puis textos, puis ce silence…
Alors, on fait un Putsch ?
Une image – Un flibustier brillant. Anglais dehors, Irlandais dedans, combattant stylé, la générosité contrite par son besoin de reconnaissance, un artiste élégant, un rugbyman amoureux du Bushmill Malt.
Régulièrement il entrait dans mon bureau et me disait : « alors, on fait un Putsch ? »
Ce qu’il a apporté à la radio – Au départ, une exigence formelle, technique, artistique importée de France Culture qui distingua très vite Nova sur la bande FM et contribua fortement à son style. Puis son acuité intellectuelle, sa culture et son non-conformisme apportèrent une touche importante aux côtés de la tribu Actuel. Il apporta aussi des talents nouveaux, comme Julie Koltaï.
Un souvenir marquant – L’enregistrement du carillon Nova des années 80-90, « 22h Sur Nova c’est 10h », pour lequel je fus l’une des deux voix.
La transmission – Il m’a appris à démarrer même sans être prêt, à transformer les accidents en matériau créatif. À être moins sensible aux critiques des autres.
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Sébastien Boyer Chammard – Ancien réalisateur (1992-1997) et responsable de la programmation musicale de Radio Nova de 1997 à 2002.
Une image – Un homme calme, réservé parfois, secret souvent, mais passionné, avec beaucoup d’histoires à raconter. Toujours très élégant, il me gratifiait toujours d’un « Salut beau gosse ».
Ce qu’il a apporté à la radio – Un véritable savoir-faire et une identité forte par l’habillage sonore de la radio. Un sens de la narration et une structure du discours.
Un souvenir marquant – Andrew est l’homme qui m’a donné confiance en moi en me confiant la réalisation des premiers sketchs d’Ariel Wizman et d’Edouard Baer, Mouvement de jeunes, qui deviendraient ensuite La Grosse Boule, émission mythique des années 90.
La transmission – Il m’a appris énormément de choses : à parler derrière un micro pour les documentaires et nombreuses publicités. À savoir faire une prise de voix comme ingénieur. À monter sur Revox à mes débuts. À fabriquer de beaux jingles.
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Marion Armengod, ancienne journaliste et animatrice chez Radio Nova
Entre 2011 et 2017, Radio Nova m’a appris à devenir assistante d’antenne, responsable vidéos, CM, journaliste (le journal de nova), animatrice (Grand Mix week end, Grand Remix), à ne jamais refuser une invitation pour un concert, à parler dans un micro après une nuit blanche, à laisser mon corps danser comme il l’a décidé, à reconnaître la bonne musique, à aimer la folie, entre autres.
Andrew est l’une des dernières personnes que j’ai interviewé avant de quitter Radio Nova. Je l’avais invité à participer à ma chronique Je me souviens (des portraits de villes, de pays, à travers les sens). Cette radio, c’est comme une famille très nombreuse : on sait qui sont les tontons, les cousins, les frères et soeurs, ce qu’ils ont apporté à la radio, à quelle période. On maîtrise l’arbre généalogique mais tout ce monde ne se réunit jamais, très certainement à cause des histoires de famille justement.
À quelques jours de mon départ de Radio Nova après les six années les plus intenses de ma vie, j’allais échanger avec Andrew pour la première fois. Nous nous sommes tous les deux installés en studio, j’ai timidement expliqué le concept de ma chronique, Andrew me regardait parler avec bienveillance. L’enregistrement a commencé et pendant trente minutes, il s’est complètement abandonné à ses souvenirs. Il m’a confié avec beaucoup d’émotions et de spontanéité quelques anecdotes qui lui revenaient en mémoire et qui traduisaient tout son amour pour l’Irlande, sa terre natale. Nous avons partagé un super moment et en sortant du studio, il m’a félicité pour mon travail. Ses quelques mots m’ont offert le plus beau cadeau de départ : un sentiment de légitimité.
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Il pensait que la radio était magique, qu’elle permettait de jouer avec le temps, qu’elle faisait sortir des voix de terre
Thomas Baumgartner, ancien rédacteur en chef de Nova.
Selon moi, Andrew Orr a apporté une exigence de forme, une culture radiophonique, un savoir-faire, une foi dans le media… Il pensait que la radio était magique, qu’elle permettait de jouer avec le temps, qu’elle faisait sortir des voix de terre. Je me rends compte que c’est ce que je crois profondément. Il la prenait au sérieux et jouait avec elle. C’est ce qu’il faut faire, je pense.
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Aurélie Sfez – Journaliste et animatrice chez Radio Nova
Une image – On s’est vu plusieurs fois dans des cafés, des restaurants. Toujours souriant, doux et vif, je revois très nettement ses yeux intelligents, rieurs et rusés.
Il possédait l’instinct et la raison
J’aimais particulièrement sa grande sensibilité qui croisait le fer avec ses avis tranchés, ses idées bien taillées. Il possédait l’instinct et la raison.
Au départ il ne se donnait pas facilement et puis comme un félin il se courbait, assoiffé de curiosité, de rencontre, il voulait savoir à qui il fait affaire.
Un apport à la radio – Il a apporté un savoir-faire radiophonique, aussi bien sur le fond que sur la forme. Andrew savait raconter des histoires et nous embarquer dans des mondes imaginaires ; il avait des idées avant-gardistes et très précises sur la mise en ondes. Il était savant et fou de radio.
Il savait façonner les sons à tous les niveaux et dans tous les sens : documentaires, fictions, reportages, poésies sonores expérimentales, portraits… De France Culture à Nova, Andrew était ce lien, cet accord parfait qui faisait résonner la radio créative en France avec cette urgence de transmettre ce métier comme on fait du compagnonnage, sûrement de peur qu’il se perde…
Un souvenir – On discutait surtout de Nova, il me donnait des conseils. Moi qui arrivait de Radio France, comme lui avant, il voulait s’assurer que je comprenne bien cette future famille et son histoire. Je le revois, très élégant au café avec son thé chaud à lire et relire les notes sur la radio que nous écrivions à quatre mains avec Thomas Baumgartner avant de rejoindre Nova. Je me souviens de cette phrase comme une devise : « C’est la crise, tant mieux ! » Alors il fallait transformer les inquiétudes de l’époque, puiser dans la grisaille ambiante pour faire pousser des jours heureux et se rassembler autour de toutes les formes de création sonores.
La transmission – Sans sa confiance je ne serais pas À la dérive. Il a beaucoup compté pour moi, dans cette filiation de France Culture à Nova, avec lui comme figure tutélaire, j’ai compris que cette aventure et ce passage était possible.
Il m’en a appris beaucoup sur l’histoire de Radio Nova, sur son histoire personnelle à la radio, les joies comme les difficultés, et grâce à lui je me suis replongée dans les émissions que j’écoutais en arrivant à Paris et j’ai pu me projeter.
Andrew était une sorte de wise-man dandy intransigeant avec une autorité naturelle, un esthète charismatique et un poète à fleur de peau qu’on écoute, qu’on a envie de suivre. Je le remercie, je lui dois beaucoup.
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Bintou Simporé, journaliste et animatrice chez Radio Nova, productrice de l’émission Néo Géo
Andrew a évolué dans maints lieux d’écoute et de parole, des ateliers de création radiophonique de Radio France à Radio Nova et Nova Production, en passant par ses nombreuses collaborations avec d’autres médias, l’habillage de la chaîne Arte et celui de diverses radios publiques, sans oublier ses films documentaires pour ne citer que quelques moments d’une vie qui s’est arrêtée, à l’âge de 71 ans. Me reviennent ces images d’un blond à la carrure de rugbyman, toujours très chic voire extravagant, un sapeur finalement !
S’il y a quelqu’un qui aimait la couleur jaune tant évocatrice aujourd’hui de la révolte contre les injustices, c’est bien Andrew Orr et ses fantastiques costumes aux couleurs vives. Il n’aura pas eu le temps d’en faire un documentaire, lui qui a su s’intéresser au monde rural du cœur de la Bourgogne, en Puisaye où il s’était établi il y a 40 ans en famille. Y réalisant plusieurs films qui donnaient la parole aux invisibles de la campagne française, Forte est la terre ou encore La nouvelle clé des champs.
Visionnaire d’une radio qui puisse raconter le monde en décalé
Quand je pense à Andrew, je pense aux clichés de l’Irlandais entier, franc, colérique, et il l’était . « Une forte personnalité », a-t-on l’habitude de dire. Mais également, bon vivant, pas snob, respectueux de l’authenticité des expressions quelles qu’elles soient, pas cynique, chercheur de sens dans tout ce qu’il produisait ! Visionnaire d’une radio qui puisse raconter le monde en décalé, en passant par la poésie de ses œuvres sonores dans lesquelles l’auditeur est interpellé de manière subtile avec des éléments de réalités plongés dans de grands bains musicaux, bruits de villes, musiques traditionnelles ou expérimentales sur des bandes (à l’époque dans les années 80, c’étaient les bandes et le nagra qui prévalaient).
Andrew est resté attentif à l’évolution de Nova, cette radio qu’il a lancé avec Jean-Francois Bizot et quelques amis. Nous le remercions de nous avoir branché sur ces longueurs d’ondes qui, je l’espère, continueront encore longtemps à se déployer avec les esthétiques qu’il a su créer. Salut Andrew.
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Catherine Lagarde, elle aussi, a rendu hommage à Andrew. Mais avec ses mots et ses sons à lui.
Propos recueillis par Bintou Simporé, et édités par Bastien Stisi.