Donald et Kim Jong-un peuvent aller se rhabiller.
Tout a commencé avec un charmant rapport. Un mémo interne destiné aux cadres de Google. Un éclair de lucidité, dix pages pleines de bonnes intentions, une recommandation rédigée avec amour par James Damore, ingénieur, et depuis licencié de l’entreprise.
Il y expliquait que la politique de Google visant à encourager la diversité et à réduire les écarts femmes-hommes dans l’entreprise se basait sur une vision « gauchiste » et biaisée de l’Humanité, plutôt que sur la science. Elle s’apparenterait donc à de la discrimination.
Pour commencer, une bonne dose de sexisme
« La gauche a tendance à nier les faits scientifiques, notamment les différences biologiques entre les personnes (c’est à dire le QI et les différences sexuelles) », écrit-il. La biologie, elle, démontre selon lui que les femmes, sont plus adaptées au relationnel qu’au code ou aux postes de leadership. Il ne faudrait donc pas les encourager à aller dans cette voie, sous peine de leur donner de faux espoirs (et de dérégler l’ordre mondial). Parce qu’elles sont plus sujettes au stress et à l’anxiété, parce qu’elles ont besoin d’un équilibre entre vie professionnelle et familiale (comprenez, elles vont bien tomber enceintes à un moment ou à un autre), les femmes seraient moins aptes à occuper des postes à responsabilité.
Parce qu’elles sont plus aimables que les hommes, elles négocieraient moins leurs salaires (ce qui est, bien évidemment, l’explication à l’écart faramineux des rémunérations, que Damore qualifie de « mythe »). Enfin, parce qu’elles fonctionnent à l’affect et non à la logique, elles ne devraient pas être encouragées à coder. En bref, une leçon de sexisme en bonne et due forme, émanant des entrailles du géant Google.
L’entreprise n’a pas réfléchi à deux fois avant de licencier l’ingénieur. Le CEO de Google, Sundar Pichai, écrivait alors: « Suggérer que certains de nos collègues possèdent des caractéristiques qui les rendent moins aptes biologiquement au travail est insultant, et ce n’est pas cautionné. »
Puis, consolider les troupes
Comme le relate le New York Times, dès l’annonce du licenciement de Damore, des articles en soutien au jeune ingénieur se sont multipliés sur les sites d’extrême droite. Pour l’alt-right américaine, cet épisode n’est qu’une énième manifestation de la bien-pensance et de la politique libérale en Silicon Valley. Breitbart, le site d’extrême droite fondé par Steve Bannon (le conseiller en stratégie de Donald Trump) évoquait une « blacklist » sur laquelle se trouverait désormais James Damore.
Très vite, Damore est d’ailleurs allé se réfugier au sein de cette communauté qui l’accueillait à bras ouverts, et qui elle, sait apprécier correctement son sexisme et ses positions conservatrices. Il donnait le 8 août dernier sa première interview au youtubeur masculiniste Stephane Molyneux.
Enfin, déclarer la guerre
La bataille avait déjà commencé. Depuis l’élection de Donald Trump, nombre d’acteurs majeurs de la Silicon Valley ont pris position contre une politique discriminatoire, islamophobe, sexiste, transphobe, raciste, et on en passe. De Airbnb proposant des logements aux victimes du Muslim Ban, à Facebook se prononçant contre la sortie de l’Accord de Paris sur le climat. Paypal, a aussi gelé plusieurs cagnottes affiliées à l’extrême droite – y compris en France, celle de Génération Identitaire.
La démarche est purement politique. Ces entreprises se réservent le droit de refuser de soutenir des démarches qui ne correspondent pas à leurs valeurs. Des valeurs qui se veulent souvent humanistes, basées sur la diversité et la vie en communauté, pour préserver leur image. Car c’est bien là qu’est l’enjeu. Google a engagé et employé James Damore sans aucun problème jusqu’à ce que ses positions politiques deviennent publiques. L’équilibre de la Silicon Valley repose sur une sorte de « Don’t Ask don’t tell ». Pourtant, selon Motherboard, les opinions de Damore sont largement partagées au sein de Google. Et après une multiplication de scandales, le sexisme au sein de la Silicon Valley n’est plus un secret.
La bataille pour l’égalité et la diversité se mène désormais au corps-à-corps avec des activistes d’extrême droite. Décomplexés par un Président à leur image, ils prennent conscience de la puissance qui est la leur sur les plateformes de ces entreprises. Twitter, Facebook, Youtube… Toutes comportent une large communauté d’extrême droite, qui les utilise pour consolider leur base, récolter de l’argent et organiser des événements. En surface, leurs opinions politiques en font des parias, en réalité, le traffic généré sur ces réseaux leur offre un moyen de pression et un porte-voix qu’ils n’ont jamais eu auparavant.
Certains activistes se sont d’ailleurs attelés à créer des réseaux sociaux dédiés à leurs causes, et des plateformes de crowdfunding où ils sont sûrs de ne pas être entravés. « Il y a une forme de justice poétique dans l’atl-right, lit-on dans le New York Times, alors que ce mouvement politique né d’internet se retourne contre les entreprises qui lui ont permis d’exister au départ. » Reste encore à savoir si l’on se dirige vers un web alternatif, construit par et pour l’extrême droite. Et quelle sera la riposte de la Silicon Valley.