Ça y est, le djidji ayôkwé, ou “tambour parleur”, s’apprête enfin à revenir en Côte d’Ivoire, plus de 108 ans après que des colons français l’ont arraché à la communauté des Bidjans. Le retour du gigantesque instrument s’inscrit dans l’engagement de la France à restituer les centaines d’œuvres d’art pillées en Afrique à l’époque coloniale.
Un retour attendu depuis longtemps. Le djidji ayôkwé, un instrument de musique traditionnel communément surnommé « tambour parleur« , s’apprête à revenir en Côte d’Ivoire, plus de 108 ans après que des colons français l’aient arraché au pays.
Un instrument spirituel au cœur du fonctionnement de la communauté
Sculpté dans un unique morceau de bois par les communautés Atchans, installées le long de la lagune d’Ebrié, le djidji ayôkwé est absolument immense. Long de 3 mètre et lourd de 430 kilos, cette quasi-sculpture servait en fait de giga sifflet puisque le son émis pouvait être entendu sur plus de 20 kilomètres. On utilisait donc l’instrument pour prévenir des dangers, mobiliser pour la guerre ou encore convoquer les villages à des cérémonies. Le djidji ayôkwé avait aussi une portée spirituelle et mystique : tout un culte s’organisait autour de cet instrument qui appelait la communauté à prendre des décisions…
Un symbole de résistance contre la colonisation française
Plus tard, pendant la colonisation, le « tambour parleur » devient un symbole de résistance : les Bidjans, un des neuf clans ivoiriens composant la communauté des Atchans, s’en servaient pour avertir de l’arrivée des colons français venus réquisitionner des membres de la communauté pour le travail forcé… Grâce à un langage codé, l’instrument alertait à tous les villages voisins de fuir. En arrivant sur place, les colons ne retrouvaient ainsi que des maisons vides.
C’était ce même ennemie colonisateur, la France, qui arrache le djidji ayôkwé aux Bidjans en 1916. Il sera transféré au Trocadéro, dans un jardin, puis au musée de l’Homme, avant de débarquer au musé du Quai Branly de Paris. Très dégradé, ce « tambour parleur » ne parle plus vraiment, mais il compte encore beaucoup : l’objet devait être le tout premier bénéficiaire de la loi-cadre accélérant la restitution des œuvres d’art pillées en Afrique à l’époque coloniale.
Restituer l’instrument pillé : une opération politique difficile
C’est le fruit d’un travail de longue haleine pour la Côte d’Ivoire, car le processus a beaucoup trainé. La promesse faite par Emmanuel Macron de rendre le djidji ayôkwé aux ivoiriens remonte au Sommet Afrique-France de 2021 et l’accord pour le retour du « tambour parleur » n’a été signé que ce lundi. L’opération s’inscrit dans le cadre d’une résolution plus large du président de la République, qui s’est engagé à accélérer les restitutions des biens coloniaux vers l’Afrique en 2017. Fin 2021, 26 objets sont rentrées au Bénin. Sauf qu’il en reste encore un bon gros tas, précisément 147, rien que pour Abidjan… La chose est rendue d’autant plus complexe par l’absence de loi globale pour renvoyer les œuvres. Une loi doit donc être fabriquée à chaque restitution….
Quand reviendra le djidji ayôkwé ?
Cette situation complique le rendu du djidji ayôkwé : la loi censée rendre son retour effectif n’est pas prête. Officiellement, l’instrument reste encore aux mains de la France, mais est qualifié de “dépôt longue durée”, ce qui permet de contourner la loi actuelle. Le musée des Civilisations de Côte d’Ivoire espère accueillir le fameux « tambour parleur » avant la fin de sa rénovation, paradoxalement financée pour moitié par l’Agence française de développement (AFD). « D’un côté, la France finance la réhabilitation du musée, de l’autre, elle ne met pas en œuvre la restitution en bonne et due forme« , explique au Monde Laurent Lafon, président de la commission Culture du Sénat.