Spécialiste de Philip K. Dick, auteur d’un essai en forme de réservoir à fictions vitales pour bricoler l’après, ce journaliste parisien réexplore pour nous, à pas de loup, la « Zone » mutante de « Stalker ».
« Ce livre est peut-être la chose la plus importante qui soit arrivée à la science-fiction hexagonale depuis les fulgurances inoubliables de Serge Lehman. » Alain Damasio ne tarit par d’éloges, à mi-parcours dudit ouvrage, à propos du dernier essai d’Ariel Kyrou, Dans les imaginaires du futur, qui vient de paraître aux éditions Actu SF. Fidèle à sa fièvre de contestation des impasses politiques et des formatages de toute obédience, l’auteur de La Horde du Contrevent détaille, le temps d’une « volte-face », la noble intention de ce pavé rose et blanc de 600 pages : comprendre, à travers l’examen érudit de romans, films, séries ou bandes dessinées d’anticipation, lesquels ne se contentent pas de nous divertir ou de reconduire en pire les schémas existants, mais offrent « armes de jet et lignes de fuite pour se construire un avenir » ou « décheniller les tanks de ce néolibéralisme inepte » ; ceux qui produisent « un imaginaire du dérangeant, du dégenré, intranquille et secouant, perclus de trous de ver, de percées vers le possible, caffi d’espoirs aussi. » Bref : des futurs désirables, comme ceux qui bourgeonnent au quotidien sur la proue de ce podcast.
C’est pourquoi, devant cette généreuse caisse à outils fictionnels pour-bricoler-l’après, la tentation de tendre le micro à Ariel Kyrou fut à peu près irrésistible. Rédac’ chef adjoint du magazine Actuel de 1989 à 1993, cet essayiste parisien, spécialiste de Philip K. Dick et directeur éditorial du Laboratoire des solidarités (solidarum.org), nous fait alors parvenir aujourd’hui le deuxième module d’une série de cinq chroniques consacrées aux « utopies lucides, terrestres et anarchistes ».
Et si celles-ci nous venaient des étoiles ? De visiteurs extraterrestres qui seraient contenté d’un très bref passage sur Terre, d’un pique-nique au bord du chemin, titre original du roman Stalker, des frères russes Arcadi et Boris Strougatski (1972), adapté au cinéma sept ans plus tard par leur compatriote Andreï Tarkovski. Le stalker (du verbe anglais to stalk, traquer, rôder, « s’approcher furtivement », « marcher à pas de loup »), écrit Kyrou, est un « voyageur, un chercheur incroyablement attentif au nouveau et dangereux terrain qu’il découvre (…) aux aguets des ombres, des signes venant des pierres et des arbres, en éveil face aux frémissements des limaces ». Ce guide explore la « Zone », apparue à la suite d’une chute de météorite ou probablement de touristes venus « du fin fond du cosmos » et qui ont laissé leur « marque violente, un témoignage de sorcellerie », tels les Grands Anciens de Lovecraft. De la taille d’un canton, on peut aussi la voir comme « un trou vers l’avenir ».
Ariel poursuit : « Je perçois la Zone comme un drôle d’espace d’expérimentation, en accéléré, des changements que nous vivons alors que Gaïa tousse et que notre écosystème se transforme à coups de virus, de tempêtes, d’effet de serre (…) Une métaphore (…) Un laboratoire des mutations contemporaines, subies ou voulues, immaîtrisables (…) Un lieu de passage plein de promesses ambiguës (…) », qui regorge « d’objets et de dispositifs incompréhensibles, d’une magie toujours incertaine (…) Un tunnel mortel, d’où pourraient sortir des connaissances hallucinantes » et des mutants surdoués, comme cette fillette télékinésique surnommée Ouistiti.
Au diapason de « L’Écrivain » du film qui note, assis sur son bidon, que « le futur se confond maintenant avec le présent », Kyrou conseille de vivre non pas après les effondrements, mais « en leur cœur permanent ».
Pour écouter la précédente utopie d’Ariel, c’est ici : https://www.nova.fr/news/ariel-kyrou-15-demain-nous-serons-furtifs-43829-26-11-2020/
Les prochains épisodes seront diffusés les 10 et 17 décembre, ainsi que le 7 janvier, à 7h10.
Image : Stalker, d’Andreï Tarkovski (1979).