Auteur d’un essai en forme de réservoir à fictions vitales pour bricoler l’après, ce journaliste parisien cherche sa place au sein du parlement « biocratique » de Camille de Toledo, qui fait voter les rivières.
« Ce livre est peut-être la chose la plus importante qui soit arrivée à la science-fiction hexagonale depuis les fulgurances inoubliables de Serge Lehman. » Alain Damasio ne tarit par d’éloges, à mi-parcours dudit ouvrage, à propos du dernier essai d’Ariel Kyrou, Dans les imaginaires du futur, qui vient de paraître aux éditions Actu SF. Fidèle à sa fièvre de contestation des impasses politiques et des formatages de toute obédience, l’auteur de La Horde du Contrevent détaille, le temps d’une « volte-face », la noble intention de ce pavé rose et blanc de 600 pages : comprendre, à travers l’examen érudit de romans, films, séries ou bandes dessinées d’anticipation, lesquels ne se contentent pas de nous divertir ou de reconduire en pire les schémas existants, mais offrent « armes de jet et lignes de fuite pour se construire un avenir » ou « décheniller les tanks de ce néolibéralisme inepte » ; ceux qui produisent « un imaginaire du dérangeant, du dégenré, intranquille et secouant, perclus de trous de ver, de percées vers le possible, caffi d’espoirs aussi. » Bref : des futurs désirables, comme ceux qui bourgeonnent au quotidien sur la proue de ce podcast.
C’est pourquoi, devant cette généreuse caisse à outils fictionnels pour-bricoler-l’après, la tentation de tendre le micro à Ariel Kyrou fut à peu près irrésistible. Rédac’ chef adjoint du magazine Actuel de 1989 à 1993, cet essayiste parisien, spécialiste de Philip K. Dick et directeur éditorial du Laboratoire des solidarités (solidarum.org), nous fait alors parvenir aujourd’hui le troisième module d’une série de cinq chroniques consacrées aux « utopies lucides, terrestres et anarchistes ».
Et si on demandait son avis à… une belette ? Un palétuvier ? Un marécage ? Comment sera l’Europe en 2050 quand les forêts, les lacs, les rivières auront le droit de voter ?, se demande l’écrivain français Camille de Toledo le temps d’une pièce de théâtre, Les Témoins du futur, non publiée mais présentée en avril 2019 à la Maison de la Poésie de Paris. Enjeu dramatique, ainsi résumé par Kyrou dans son propre ouvrage : « Prêter voix aux êtres et aux éléments, aux organismes et entités écosystémiques privés de moyens d’action et même et surtout de simple parole ».
Toledo imagine, au préalable, la victoire en 2030 « d’une puissante vague écologiste et féministe qui renverse les vieux pouvoir de l’Union européenne ». Les hommes sont alors exclus des fonctions dirigeantes, tandis que s’émancipent « lacs, rivières, forêts, montagnes », qui siègent au sein d’un parlement « biocratique ». Cette assemblée se partage en deux : 300 femmes d’un côté, 432 vivants non humains de l’autre, par tirage au sort. Les lois s’enchaînent. La lagune de Venise intente un procès au syndicat du tourisme italien, de même que « les nuages » à l’agence internationale de l’énergie atomique. Des régions sanctuaires sont soudainement « vidées de toute activité humaine et reboisées », pour que la biosphère se régénère. Ce qui ne va pas sans heurts. En pleine forêt primaire, la maison d’une grand-mère d’Ukraine est démontée… comme au temps de l’invasion russe en Crimée. Paysans, patrons et commerçants et retraités se rebiffent, créant « des gouffres d’incertitudes ».
Dans notre réalité, notons que Camille de Toledo milite en ce moment pour donner des droits à un fleuve, la Loire, afin de le « représenter juridiquement » ainsi que la faune et la flore environnantes.
Pour écouter la précédente utopie d’Ariel, c’est ici : https://www.nova.fr/news/ariel-kyrou-25-demain-des-connaissances-hallucinantes-sortiront-de-ce-tunnel-67481-03-12-2020/
Les prochains épisodes seront diffusés le 17 décembre et le 7 janvier, à 7h10.
Image : Politics Tamed, spot promotionnel du UK Times / Sunday Times, de William Bartlett (2019).