Le Californien sort « Dedicated to Bobby Jameson ». Rencontre.
Ariel Pink revient avec l’album Dedicated to Bobby Jameson, sorti le 15 septembre dernier. Successeur du très bon Pom pom, toujours un brin allumé, avec de grandes envolées pop, où il rend hommage à Bobby Jameson, un musicien méconnu qui a tenu un blog sur sa propre vie. Ariel Pink semble ne jamais vraiment s’être remis du succès qu’il connaît depuis plusieurs années et reste fasciné par la figure de l’éternel looser. Entre spontanéité et provocation, rencontre avec l’homme qui reçoit en chemisette à motifs Bart Simpson.
Ariel, comment tu vois ta place dans le monde musical actuel ?
Ariel Pink : J’ai toujours été intéressé par les vieux trucs, particulièrement la pop music ancienne, mais aussi la musique expérimentale et avant-gardiste. J’ai voulu faire ma propre musique avant-gardiste et pour moi c’est ce que je fais aujourd’hui. Mais pour la plupart des gens de ce monde post-chillwave, je suis juste une pop star dans le genre de Mac Demarco ou de Tame Impala. Alors que j’étais là avant eux ! Non je rigole.
Et ce côté avant-gardiste, c’est toujours important pour toi aujourd’hui ?
Ariel Pink : Je suis encore à l’avant-garde, car j’ai tenté plein de choses tout au long de ma vie. Je crois que dès le début j’ai eu la bonne idée. Quand j’ai commencé, je me suis dit : musicalement, je vais toujours faire la même chose, je ne veux pas évoluer. Je sais que je ne peux pas empêcher les changements d’arriver mais je veux être complètement figé dans le temps.
Tout le monde essaie d’anticiper la prochaine tendance. En ce moment, je suis un peu à la mode donc je parais plus normal que ce que j’étais avant. Mais je vais continuer à faire ce que je fais longtemps après que Mac Demarco et Tame Impala aient adopté d’autres genres de musique et soient passés à autre chose. Moi je serais Ariel Pink pour toujours.
« Je ne sais rien faire d’autre que m’exprimer »
Ariel Pink, c’est aussi différents personnages que tu crées, parfois tu te travesties ou tu proclames être un enfant de 5 ans …
Ariel Pink : Je ne crée pas de personnages. C’est vraiment une idée fausse. Je ne parle de personne d’autre. Des fois je peux dire « il, elle, je » et ajouter quelques mots après ça, mais ce n’est que des conneries. Les gens me disent : « quand avez-vous décider de devenir ce personnage d’Ariel Pink ? » Mais non, ils se trompent, je suis Ariel Rosenberg et Ariel Pink n’existe même pas. Je suis frustré car je suis toujours moi-même. C’est pour ça que des fois je dis que je suis un enfant de 5 ans : je suis jeune de cœur, pure et innocent et je ne sais rien faire d’autre que m’exprimer, ce n’est pas un artifice.
Bobby Jameson donne son nom à l’album, est-ce que tu peux le présenter ?
Ariel Pink : Bobby Jameson était un musicien dans le début des années 60. Enfin il a été musicien toute sa vie mais il était adolescent à cette époque. Sa carrière n’a jamais vraiment décollé jusqu’à sa mort. Il est encore très méconnu et moi je ne le connaissais pas de son vivant. Pendant 30 ans, les gens pensaient qu’il était mort et en fait il avait ouvert un blog sur internet pour clarifier de fausses histoires qui circulaient sur lui. J’ai lu son blog qui raconte donc l’histoire de sa vie. C’est comme un grand livre non publié. J’ai trouvé ça incroyable. C’est très inspirant car il a une clarté parfaite sur ce qu’il décrit qui date de peut-être 30 ou 40 ans. Et ce qu’il décrit principalement, c’est lui, un homme complètement fou.
Qu’est-ce qui t’intéresse chez un musicien comme lui ?
Ariel Pink : Je me sens proche de lui car il voulait qu’on le perçoive d’une certaine manière mais ça n’a jamais marché. Les gens lui disaient ce qu’il fallait faire ou porter. Il a toujours été frustré car personne ne le laissait faire ce qu’il voulait. C’est un artiste frustré à qui l’on posait des limites sur ses ambitions. Il n’a même pas pu se suicider quand il a essayé dans les années 70. Ces gens-là sont mes héros, des gens qui n’ont jamais réussi ou qui, s’ils ont réussi, n’ont pas duré.
Tu vois des résonances avec ta propre expérience de musicien ?
Ariel Pink : En grande partie, la vie de Bobby Jameson, son identité, son besoin de reconnaissance en tant qu’artiste, c’est un peu ma vie jusqu’à mes 26 ans. Et puis j’ai un peu gagné en célébrité et à partir de là ça m’a mis une grosse claque. C’est ce que j’avais toujours voulu. J’étais en recherche d’attention et je ne pensais pas l’avoir un jour. Je me sentais satisfait mais que faire après ? Je n’arrivais même plus à faire de musique après ça.
Aujourd’hui, si je continue à en faire c’est pour plusieurs raisons. Je suis content si je peux faire une chanson de temps en temps mais je n’ai pas la même envie et ambition que quand j’avais 15/16 ans. Je n’ai plus cette même inspiration et folie que j’avais avant. Aujourd’hui, je le fais pour l’argent, j’ai besoin de me faire l’argent de temps en temps.
Pour ce nouvel album, à quel moment tu as décidé de démarrer un nouveau projet ?
Ariel Pink : J’aime dire que je suis à la retraite jusqu’à ce que je ne puisse plus me le permettre et c’est là que je commence un disque. J’essaie d’acheter mon temps libre en fait. Ça faisait 3 ans que je n’avais pas de travail et j’ai donc pris un mois pour enregistrer le disque. Avec un peu de chance, je pourrais prendre ma retraite pour un bout de temps jusqu’au prochain disque ou alors je n’en ferais plus jamais. C’est l’idée être à la retraite pour toujours… Si j’avais le choix je ne ferais plus d’art, je ne veux rien faire.
« S’isoler ? C’est rester à la maison en caleçon à regarder le mur »
Ne rien faire, la retraite, ça signifie quoi pour toi ? T’isoler ? Partir ?
Ariel Pink : Rien faire, ça veut juste dire rester à la maison en caleçon à regarder le mur. C’est mon but : profiter de ma vie sans me soucier de l’argent.
Il y a aucun moment où tu te dis : « Je viens de faire une chanson, c’est génial ! » ?
Ariel Pink : Oui si je peux encore écrire une chanson, je me dis « Ah ! J’ai encore ce truc ! » Mais je ne me fais pas d’illusions, je pense que je fais du rock de papa. Ariel Pink, c’est du passé, c’est déjà vieux.
Je ne suis pas très vieux …
Ariel Pink : Oui, pour les jeunes, je les intéresse encore peut-être parce que je mène une vie sans stress et que je fais assez jeune. Mais c’est superficiel, je suis juste un vieux. Et je pense qu’un jour où l’autre je vais me faire jeter à la rue par la génération suivante. Il va y avoir une révolution de la jeunesse qui nous prend pour de vieilles stars et qui va tous nous détrôner.
Ariel Pink, Dedicated to Bobby Jameson, 2017, Kemado Records / Mexican Summer
Visuel : (c) capture d’écran du clip d’« Another Weekend »