Le court-métrage « Africa Riding » part à la rencontre de la communauté des riders au Ghana.
Une série de court-métrage, intitulée Africa Riding témoigne de l’avènement d’une culture de la ride dans certains pays africains. Une culture qui appartient à une jeunesse en marche – sur rollers, bmx ou sur skate – vers un nouvel ordre culturel et social. Chaque épisode de la série est consacrée à un rider, et parmi eux, il y a Philippe Darko, 22 ans, dit « Chance ». Il est le personnage principal du court-métrage Africa Riding : Ghana projeté ce jeudi dans le cadre de la troisième édition du Paris Surf & Skatebord Film Festival, qui a lieu du 27 au 30 septembre à Paris. « On s’est rendu compte qu’il y avait une grande richesse de création cinématographique inspirée par la pratique du surf et du skate et on avait envie de mettre ces films à l’honneur parce qu’ils sont peut diffusés en France » explique Elodie Salles, co-fondatrice du festival.
Africa Riding : Ghana, qui est donc mis à l’honneur dans la catégorie court-métrage du festival, est réalisé par Aurélien Biette et Liz Gomis, que vous connaissez sûrement si vous êtes assidus de notre antenne, puisqu’on la retrouve régulièrement dans l’émission Néo Géo sur Nova. Elle nous raconte l’histoire du projet, qui commençait à murir dans sa tête il y a plus de dix ans déjà.
Quel a été le point de départ du projet « Africa Riding » ?
Liz Gomis : En 2007, j’ai découvert le travail du photographe Yann Gross, qui par hasard s’est retrouvé en Ouganda et y avait découvert un skatepark. Au départ, c’était juste une rampe. Il avait fait une série de photos incroyable qui s’appelait Kitintale, où on voyait ces petits qui s’étaient retrouvés du jour au lendemain à faire du skate au milieu d’une plantation de cannes à sucre. Ça m’a fasciné pendant des années. Je me suis dit qu’il fallait que je vois ce skatepark. Instagram et Facebook aidant, j’ai vite retrouvé la trace des skateurs. J’ai tiré les fils et je me suis rendu compte qu’il y avait des gars en Éthiopie, en Tanzanie, au Maroc, au Ghana, au Sénégal. Et j’ai fini par trouver tous ces jeunes, un peu partout.
Comment as-tu rencontré le personnage principal d’ « Africa Riding : Ghana », Chance ?
Liz Gomis : L’association Surf Ghana m’a parlé de quelqu’un d’un peu en marge de ce qui se fait, qui venait faire du skate en pantalon à carreaux, autant te dire qu’au Ghana ça n’existe pas (rires). Je l’appelle sur Whatsapp, le feeling était bon et je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire même si il était tout feu tout flamme et tout le temps en train de bouger. En arrivant là-bas, on l’a vu et je me suis dit, c’est clair, c’est lui qu’on tourne.
Ce qui transparait dans le personnage de Chance, c’est un certain esprit Do It Yourself, une envie de faire les choses par lui-même avant tout…
Liz Gomis : Ce qui est marrant avec Chance, c’est que si on faisait l’équivalent d’un Chance en France, ça serait un mec d’une classe moyenne. Il habite dans un quartier périphérique d’Accra, il a une maison qui est folle, son père a fait de l’argent dans le charbon. Son père évidemment pour ses deux fils, tout ce qu’il voulait c’était qu’ils aient un avenir brillant donc il a mis de l’argent pour qu’ils deviennent un peu des modèles. Pas de chance pour lui, son premier fils c’est Darkovibes, une star au Ghana. Et il y a Chance, lui, qui regarde son frère, et qui se dit qu’il ne veut pas travailler dans un bureau. Il suit les pas de son frère, il quitte l’école, il ne prévient pas ses parents. Il prend les sous des frais de scolarité et développe son truc de fringues…
C’est quelque chose que l’on sent dans le court-métrage, une sorte de fracture générationnelle, Chance lui-même dit que ses parents ont pris l’habitude « d’importer » les choses, et que lui veut plutôt créer.
Liz Gomis : Oui et pour Chance, c’était important de montrer à son père qu’une équipe française s’intéressait à ce qu’il faisait, pour montrer que ce n’était pas juste un troubadour, pour lui montrer qu’il pouvait avoir un avenir.
L’émancipation, c’est l’un des sujets centraux d’ « Africa Riding »?
Liz Gomis : C’est le point commun de tous les épisodes. Mais c’est ce qui est compliqué en Afrique. La culture et les coutumes prennent tellement de place que quand tu sors de ce cadre là tu es rapidement décrié. On va dire que tu es un troubadour, un trouble-fête, que tu vas devenir un voyou. L’objectif premier là-bas c’est de faire des études, d’avoir un bon job régulier. Bien sûr ça évolue avec le temps, notamment pour la musique. Mais le skate, les sports de glisse, franchement, c’est perçu comme farfelu.
Comment les skateurs sont-ils perçus justement ?
Liz Gomis : Pour les hommes, il n’y a pas d’animosité parce que c’est toujours un peu spectaculaire. Les gens se réunissent, les applaudissent, les encouragent. Mais ça reste du spectacle, pour eux ça ne peut pas devenir quelque chose de viable. Mais pour Dominique qui fait l’objet d’un autre épisode de la série, c’est pas pareil, c’est une femme. Je me souviens qu’elle devait dévaler une pente pendant le tournage et je suis tombée sur un groupe de mecs qui m’ont dit « elle devrait avoir des gosses et s’occuper de son mari plutôt que de jouer avec des jeux d’enfants ». C’est compliqué, la société ne les comprend pas.
Il y a un semblant d’industrie qui est en train de naître pourtant, on voit une personne dans le court-métrage fabriquer ses propres planches ?
Liz Gomis : C’est Cephas, le pote de Chance. Il a tout créé tout seul, la presse, son métier à faire les boards, il regarde tous les tutos sur internet. Parce qu’une board là-bas, c’est 100 euros, l’équivalent de 600 cédi, c’est même pas le salaire moyen donc tu ne mets pas 100 euros dans une board, tes parents vont pas te la payer. Donc ils se débrouillent avec de la seconde main, avec des choses qui viennent d’Europe et des États-Unis. Mais au quotidien, si ta planche pète, c’est la merde.
Ces personnes que l’on voit dans la série, est-ce que c’est des gens qui se connaissent ? est-ce qu’il y a l’idée d’une communauté ?
Liz Gomis : Effectivement ils se connaissent, la communauté de skateurs ghanéens est de plus en plus énorme. Il y a plusieurs associations, Surf Ghana, Ghana Skate les Christian Ghana Skaters, les skaters chrétiens. En Ouganda, il y a déjà des dissensions parce qu’il y a beaucoup plus d’associations de skate, et que ça fait plus longtemps qu’ils pratiquent aussi. Mais au Ghana, c’est le début, donc on s’aide et on fait tout ensemble.
Dans le court-métrage, on comprend les galères du personnage, il parle aussi de politique, d’abandon, mais tout ça reste quand même très optimiste, est-ce que c’était une volonté ?
Liz Gomis : Quand j’ai commencé à faire mon enquête, je voulais absolument des personnages qui malgré la difficulté, malgré la galère que c’est de skater au quotidien là-bas, avaient trouvé leur point d’équilibre. Pourquoi je voulais ça ? Parce que tous les reportages qu’on voit à la télé française montrent souvent des crises, des gens qui meurent à cause de la malaria et d’autres qui galèrent, qui demandent de l’aide. Les gens que je côtoie c’est des gens comme toi et moi : on fait notre vie, on trouve des petits jobs quand ça se présente, on sait faire plein de choses. Chance c’est la même chose : il fait du skate, il fait des fringues, il habille le groupe de son frère, à côté de ça il vend des coconuts au marché. Je voulais des profils comme ça, et au final dans leur parcours, ce sont des gens qui me ressemblent.
Le websérie Africa Riding sera diffusée sur Arte en fin d’année. Ce dimanche aura lieu de 15h à 22H une discussion sur le sujet « Développement et avenir du surf et du skate en Afrique » dans le cadre du Paris Surf & Skateboard Film Festival. Plus d’informations ici.
Visuel : © Africa Riding : Ghana