On a parlé avec Rack-Lo, un des fondateurs du crew Lo-Life.
« »Il y a trois jours, on a eu droit à toute la presse. Le grand jeu, homeboy, explique Big Vic-Lo en sortant une page du New York Times pliée en quatre. » Le journaliste explique sur une pleine page pourquoi la sécurité des grandes enseignes de Manhattan doit être radicalement repensée. 80 types de Brooklyn, sans arme si ce n’est leurs poings et leurs pieds, qui opèrent des razzias et volent tout ce qui se trouve sur leur passage, avec une nette préférence pour la marque au cavalier. »
Dans cet extrait du livre de Karim Madani, Jewish Gangsta, on croise Big Vic-Lo, aussi connu sous le nom de Thirstin Howl the 3rd, l’un des fondateurs du crew Lo-Life. Un groupe de jeunes hommes des quartiers pauvres de Brooklyn, qui à partir de la fin des années 80, nourrissait une certaine obsession pour la marque Ralph Lauren. Au point de faire de la marque au cavalier un véritable mode de vie.
Le gourou Rack-Lo
Le mouvement Lo-Life né de l’union de deux crews de Brooklyn en 1988, le Ralphie’s Kids de Crown Heights et Polo U.S.A. de Brownsville. Derrière ce mariage, un gourou : Rack-Lo.
« J’étais le seul à avoir vécu dans les deux quartiers. J’ai donc décidé de rassembler les deux crews pour dominer la mode et la street Life selon notre perspective des choses. »
C’est à l’âge de 10 ans que Rack-Lo rentre de plain-pied dans la culture hip hop, à travers la musique. Quatre ans plus tard, omnibulé par cette musique, il cherche déjà à fréquenter les clubs de New York qui défendent cette musique.
« Le crew Lo Life a toujours été connecté au hip hop. Beaucoup d’entre nous ont grandi avec le hip hop. On vivait et on s’impliquait dans quasiment toutes les constituantes du hip hop. C’est ce qui nous a poussé à nous soulever, et à être originaux. Le hip hop nous a incité à être différents, à faire partie de notre propre classe » explique Rack-Lo.
Au-delà du Bronx, Brooklyn devient aussi un centre névralgique du rap ; Big Daddy Kane, prétend officiellemet au titre de roi de New York à l’époque, entouré de Marley Marl, Mr. Magic, Roxanne Shanté, MC Shan, Craig G, Kool G. Rap & DJ Polo, Masta Ace…
Vivre Hip-Hop dans le Brooklyn d’alors, c’est se pointer aux blocks parties avec les plus belles sapes possibles. Partout il est question de se pavaner, d’être le meilleur breaker, le meilleur DJ, Le meilleur MC. Tout cela est une compétition qui réveille tous les Boroughs de NYC.
Feindre l’opulence
Pour briller sur les courts où les platines sont reliées à l’éclairage public, il faut porter du Nautica, du Helly Hansen, du Tommy Hilfiger, des signes apparents d’opulence avec des vêtements que le commun des mortels ne peut pas s’offrir…
Quelle marque peut mieux que Ralph Lauren raconter l’archétype de ce mode de vie de la bourgeoisie qui skie à Aspen et fait de la voile aux Hamptons. Une marque fondée par ce kid du Bronx en quête d’ascension sociale.
Allez trouver un mec qui fait de la voile, du golf ou du polo dans le Crown Heights ou Brownsville de la fin des 80’s. Partout ça bicrave du crack, partout ça se shoote. Dans cet univers sombre, ces vêtements sont un symbole, revendiquer un mode de vie qu’on refuse aux noirs déclassés des projects. Arborer fièrement ce que la société lui niera toujours. Voilà ce que revendique Rack-Lo avec ses polos édition limitée hors de prix sur le dos.
Esthètes du crime
Ce qu’on ne lui donnera jamais, Rack Lo et son crew vont l’arracher et le revendiquer, comme lorsque l’on porte le bling bling d’un gangsta ennemi. Même s’il le porte trois fois trop grand, si les casquettes sont à l’envers et si les pantalons tombent sur des paires de Air Force 1 blanches plutôt que des mocassins, Rack Lo peut regarder dans les yeux un trader et son attaché case sur la 5th Avenue.
On ne trahit pas la marque et son logo
De la fin des années 80 au début des années 90, Rack-Lo et son crew organisent des descentes dans les grands magasins de New York, chez Macy’s notamment, pour voler un maximum de vêtements Ralph Lauren.
Une descente mythique restera dans l’histoire, une veille de Noël, la sécurité est en sous effectif à l’approche du réveillon, le crew s’infiltre chez Macy’s et coffre l’ensemble du stock Ralph, sans toucher quoi que ce soit d’autre. Esthètes du crime, on ne trahit pas la marque et son logo.
« Au début, il ne s’agissait pas que de Ralph Lauren. À la base, on portait différentes marques intemporelles, Guess, Tommy, Nautica, Descente, Elles, Sergio Tachini, G Gerry, Gucci etc. » explique Rack-Lo, « C’était notre job, on connaissait tout des principaux magasins de designer à Manhattan. La marque Polo Ralph Lauren est restée parce qu’elle était plus influente. C’était quelque chose qui manquait dans notre quartier. C’était rare. Les gens ne pouvaient juste pas se l’offrir. »
Un témoignage que l’on retrouve dans le documentaire co-réalisé par Thirstin Howl the 3rd, Bury Me With The Lo On, disponible en intégralité depuis quelques jours :
Le New York Times en fait l’une des plus emblématiques révoltes de la culture populaire contre le capitalisme. « Au moment où Polo était fait et marketé pour la classe moyenne blanche et ambitieuse, certaines des collections les plus recherchées reposaient dans des placards, dans les cités de Brooklyn. »
Et si plus tard, des artistes du milieu ont voulu s’approprier la paternité de la mode Polo, Rack-Lo martèle : « tout a commencé à Brooklyn, en 1988 ». C’est le cas dans cette vidéo adressée à Kanye West.
Il est pourtant plutôt enthousiaste à l’idée de voir le mouvement se répandre. « C’est incroyable de voir que le mouvement à trouver son chemin dans le monde. J’ai rencontré différentes personnes du monde entier qui ont adopté ce style et c’est impressionnant.»
Parmi elles, on pense au rappeur belge Caballero, qui en interview pour Nova nous parlait de son rapport au Ralph et se dit « A cheval sur la qualité, comme cette marque et son fameux logo ».
Ralph, amour et loyauté
Le Lo Life crew existe toujours, mais fonctionne différemment. Rack-Lo, lui, vend des bijoux et des accessoires Ralph Lauren en ligne sur RL JEWERLY. Des évènements sont organisés chaque année pour réunir la communauté de la culture Polo, qui prennent la forme de barbecues, de beach party, avec un trophée remis par Rack-Lo au convive le mieux fringué.
« Dans ce nouveau millénaire, il ne s’agit plus que d’amour et de loyauté. »
Rack-Lo continue sa collection, « J’ai accumulé des pièces Polo qui datent de plus de 30 ans, et qui sont toujours en très bonne condition. La plupart de ces objets sont plus vieux que mon fils, mes nièces et mes neveux. J’ai l’impression que si je les garde longtemps, ils finissent par s’améliorer, comme du bon vin. »
Visuel : (c) From Lo-Life: An American Classic by George « Rack-Lo » Billips and Jackson Blount, published by powerHouse Books.