Que sont mes piliers de bars devenus, ceux et celles, hommes, femmes et leurs toutous que je ne voyais que dans ces lieux qui m’étaient familiers je l’avoue.
Ceux et celles que je retrouvais autour d’un petit noir, d’un blanc’cass’ ou d’un Perrier rondelle. Ceusses, je dis ceusses, plutôt que de dire ceux et celles, car c’est mon inclusif à moi. Ceusses qui discutaient point par point les nouvelles graphies de l’écriture inclusive ou les tactiques du coach en sirotant lentement leur demi. Ceusses donc, qui faisaient et défaisaient l’actu, en tournant les pages du journal qu’ils ou elles ne lisaient que là. Ceusses qui mettaient les points sur les i en tapant du poing sur la table. Ceusses qui ont des solutions à tout, alors que souvent s’ils ne sont pas le problème, ils contribuent à le créer. Ceusses qui l’auraient mise au fond des filets s’ils ou elles avaient été sur la pelouse. C’est dingue comme, hors contexte, je ne les reconnais plus. Au coin de la rue en citoyen comme on dit désormais ou chez le boucher en client, ils ne sont pas les mêmes, pour la plupart d’entre eusses.
J’en ai bien reconnu un chez le boulanger, celui qui voulait une baguette pas trop blanche, mais pas brulée non plus, non pas celle-là, plutôt celle d’à côté, oui celle-là… c’est lui, oui, c’est bien elle qui accoudé.e au comptoir dès 11 du mat se plaignait que la kemia n’était pas encore sur le comptoir et si elle y était déjà, qu’il y avait trop d’olives et pas assez de carottes, que les anchois étaient trop salés et que la bière était trop vite tiède.
Tout ça s’est fini ! Les bars ont fermé et la kemia a été remballé, c’est trop covid friendly, chacun à trampouiller son bout de carotte dans l’aïoli, à plonger les doigts dans le saladier de tomates cerises. Certains bars ont trouvé la parade. Le click and collect sans internet, le “à emporter” si vous préférez. Une table en travers la porte, une tireuse à bière et envoyez la monnaie, on emporte son demi ou son jaune. On ne l’emporte jamais très loin, dans un rayon de 3 mètres, histoire de rester agglutinés, entre collègues de bar et on recommence comme avant, sauf que désormais, c’est sous le soleil exactement ou par grand vent, qu’on recommence à rejouer le Conseil des Ministres et à siffler les penaltys entre deux gorgées de bière. Sauf qu’aujourd’hui mes piliers de bar ne soutiennent plus rien. Il n’y a même plus de comptoir et pourtant, allez savoir pourquoi, ce bout de trottoir nous est devenu coutumier, peut-être parce que sans l’autre, sans ses râleries, ses coups de gueule ou de cœur, je ne suis que moi, et ça, ça fait chier, non ?