Face aux scénarios « barbaresques » de la « Red Team » d’auteurs S.-F. recrutés par le ministère de la Défense, la chanteuse
magnétique rêve d’une fédération d’îles dédiées au rêve, à la danse et à l’amour, « contre la glaciation cérébrale autoritaire de nos gouvernements ».
En décembre 2020, le ministère de la Défense a dévoilé les deux premiers scénarios élaborés par sa « Red Team », cette équipe composée de dix experts, écrivains de science-fiction, sociologue et auteurs de BD, chargés d’imaginer des « formes inattendues de conflictualité » d’ici 2060. On y découvre… un ascenseur qui relierait la Guyane à l’espace. Plus aucun avion en circulation. Cent cinquante millions de migrants dans le monde d’ici 2035, du fait de l’inexorable montée des eaux et son raz-de-marée de conséquences socio-économiques et politiques. Une puce implantée sous la peau de la majeure partie de la population, pour surveiller les déplacements. Les côtes, désormais dangereuses, nouveaux bastions de sociétés pirates armées de goélands-drones pilotés à distance…
En réaction à ces exposés détaillés de sombres projections, parfois qualifiées de « barbaresques » par leurs propres auteurs, le désir de farniente sur une plage ombragée aura rarement été aussi fort – en écoutant, par exemple, l’album Corse île d’amour de Barbara Carlotti, sorti en octobre dernier et principalement constitué de reprises transfigurées de chansons populaires de l’île de Beauté, souvent traduites en français. Hymne à la nature insulaire, sans forcer, en toute modestie, de la part de « l’enfant du pays », dont le tendre chant clair paraît se déployer dans des lumières éternelles. Un magnifique album pop, assez intemporel, qui s’écoule comme la rivière du matin, gorgé de ritournelles électriques, électroniques ou acoustiques où batifolent les musiciens d’Aquaserge, Bertrand Burgalat, Izia pour un duo sur la très émouvante Ballade de Chez Tao de Jacques Higelin, quand il ne s’agit pas de danser disco les pieds dans le sable de Solenzara, ou le tango façon « sieste organisée ».
Sur Ici, accompagnée de Pierre Gambini, Barbara nous murmure, très loin des guerres du futur : « Il n’est pas difficile / de s’asseoir ici tranquille / Et de regarder / filer les heures, passer les journées / Le long de la vallée / Jusqu’à la mer et tout l’été / de passer des heures futiles / Sur les pierres chaudes, couché / Sans jamais craindre d’être dérangé (…) Ici les cigales peuvent chanter. »
C’est depuis le « Dôme de Cyrnée », en Corse, que Barbara Carlotti a souhaité nous avertir de l’existence d’une « Direction Gouvernementale du Rêve Généralisé », œuvrant en secret à la constitution d’une fédération d’îles oniriques « de résistance », « contre la glaciation cérébrale autoritaire de nos gouvernements », parmi lesquelles se comptent déjà la Sicile, Marie-Galante ou Porquerolles. Quel est le programme ? « Dessiner des fresques tactiles sur les roches abrasives, goûter la foudre et givre, rouler nos corps nus dans la boue et les algues, fondre dans les bruines fraîches au réveil, mastiquer l’air pur des montagnes, enlacez les grands arbres, nous mêler au banc de poissons, aux troupeaux de brebis, aux nuées de sauterelles, coiffer nos crinières dans les taillis touffus, danser dans les bourrasques, embrasser le soleil, caresser tous les chemins de terre et les pelages velus, prodiguer des messages d’amour aux animaux charnus. »
Pour lire les scénarios de la « Red Team », c’est là : https://www.defense.gouv.fr/aid/actualites/la-red-team-defense-publie-ses-deux-premiers-scenarios
Pour voir le beau clip super-8 et familial d’Ici de Barbara Carlotti, c’est… ici : https://www.youtube.com/watch?v=K3mZed0SQxE&ab_channel=BarbaraCarlotti
Image : Les Garçons sauvages, de Bertrand Mandico (2018).