Après « Moonlight », le réalisateur américain revient avec « If Beale Street Could Talk ».
Dans le Néo Géo de Bintou Simporé, Liz Gomis dresse le portait de Barry Jenkins, le réalisateur de Moonlight et de If Beale Street Could Talk.
Quand on est un kid de Liberty City à Miami, le simple fait de rêver n’est pas une option. Le réalisateur Barry Jenkins le sait plus que jamais. Pour ce jeune cinéaste de 38 ans, Liberty City c’est à la fois des souvenirs d’enfance qui n’ont pas toujours été sombres malgré une vie de famille mouvementée et un quartier hostile. Il n’a que trois ans quand sa mère est rattrapée par l’épidémie de crack qui s’est rapidement installé dans le quartier, alors que les emplois se raréfient. Barry est alors placé chez une certaine Minerva, qui l’extirpe de cette maison où il est difficile de trouver sa place. Son père étant persuadé qu’il n’est pas son fils.
Adolescent, Barry est un solitaire. Il s’est bâti une bulle dans laquelle il se réfugie lorsqu’il croise sa mère dans le quartier. Et c’est au cinéma, qu’il fuit le quotidien : La Couleur Pourpre de Spielberg, Un Prince à New York avec Eddie Murphy, ou encore School Daze, de Spike Lee. Autant de films qui ont bercé sa culture ciné et qui le déconnecte de son quotidien. Et puis vient la fac, le premier lieu qui permet au jeune Barry de s’extirper de son environnement. Une seconde étape de sa vie dans laquelle, celui qui ne se sait pas encore réalisateur rencontre et échange avec des personnes blanches. Un scénario impensable à Liberty City, le quartier qui l’a vu grandir et qui compte la plus grande concentration de noirs américains dans le sud de la Floride.
Barry intègre la section Arts option Film de la Florida State University et une fois de plus, il se plonge dans la filmographie de réalisateurs étrangers. Claire Denis, Wong Kar-Wai vont devenir ses maîtres à penser. Encore en décalage et dans sa bulle, Barry n’envisage toujours pas la réalisation comme un potentiel métier. Et pourtant, quatre jours après son diplôme, il plie les voiles pour Los Angeles. De petits jobs en petites missions dans le cinéma, il finit par écouter ses envies. Et c’est en 2008, qu’il réalise Medicine for Melancholy, son premier film avec un budget très limité de 15 000 dollars. Avec cette première réalisation, il impose sa signature. Une cinématographie soignée sur fond de gentrification et de question d’identité. Le film est choisi parmi les 100 films de l’année par le New York Times. Le chemin est tracé, il ne manque qu’à Jenkins à en écrire les étapes.
Quasiment dix ans plus tard, c’est Moonlight qui prend tout le monde de court en traitant avec autant de poésie la question complexe de la masculinité noire. Barry Jenkins porte à l’écran la pièce de Tarell Alvin McCraney, auteur qui comme lui à grandit à Liberty City et dont l’histoire personnelle ressemble à quelques détails près à la sienne : une mère addict au crack, un père absent, bref la vie de beaucoup de kids noirs aux Etats unis. La presse est unanime Barry Jenkins rafles tous les trophées jusqu’à cette soirée de février 2017 pendant laquelle Moonlight remporte l’Oscar du meilleur film après un cafouillage mémorable dans l’annonce des résultats.
Barry Jenkins n’en revient pas. En pleine polémique #Oscarsowhite qui dénonce le manque de diversité dans le cinéma, le réalisateur met un coup de pied dans la fourmilière en signant un film loin des clichés qui ont enfermé pendant un siècle de cinéma les Afro-américains. Fin 2018, Barry Jenkins fort de son succès revient avec une nouvelle adaptation cette fois signée James Baldwin, auteur et militant afro-américain : If Beale Street Could Talk ou l’histoire de Fonny et Tish, deux amants frappés par l’injustice d’un système de répression policière et judiciaire, héritier de siècles d’oppression. Un sujet dur habilement amené par la caméra de Jenkins qui offre, une fois de plus, une nouvelle proposition au cinéma hollywoodien.
Le Néo Géo de Bintou Simporé, c’est le dimanche de 10h à 12h sur Nova.
Visuel (c) If Beale Street Could Talk