In the Seventies.
De Barry Miles, j’avais lu sa vie de Paul McCartney (Paul McCartney : Many Years From Now. Les Beatles, les sixties et moi) et surtout son Londres underground, avant les années 60 et au tout début de la contre-culture (Ici Londres ! Une histoire de l’underground londonien depuis 1945). Je l’avais reçu à Nova, avec Alexandre Millenvoye, pour une interview fleuve sur sa vie de fou, du plus grand acteur, archiviste et historien de la contre-culture.
Conseiller culturel des Beatles vers 1965, il avait créé la galerie Indica, où Lennon rencontra Yoko, alors artiste performeuse (elle donnait des ciseaux aux spectateurs pour couper ses vêtements et la laisser nue…) Aujourd’hui encore, la librairie Indica qui fit suite, est le meilleur endroit pour dénicher toute la contre-culture à Londres.
Barry Miles a aussi contribué à créer le magazine Free Press I.T (International Times) à Londres, qui sera un phare underground (avec des articles de William Burroughs ou de Ginsberg) et qui influencera toute la free press, dont Actuel.
Bien sûr, il savait tout sur les boutiques, concerts, personnalités, et dès 1969, il fit le tour d’Amérique, à la rencontre des penseurs de la counter-culture. Il devint l’archiviste d’Allen Ginsberg puis de William Burroughs, vécu dans des communautés hippies, alla jusqu’à Big Sur pour voir le pape Henri Miller, qui inventa les grands romans sur la liberté totale, influençant définitivement les John Fante, Jack Kerouac, et autres Charles Bukowski.
De galères en succès, de travaux et livres multiples en aventures véritables de routard, il raconte encore des anecdotes savoureuses ou stupéfiantes, parfois à la limite du supportable, nous rappelant des excès et de la déchéance de certaines grandes figures de la marginalité.
Avec In the Seventies, Miles dresse un inventaire incroyable de ses rencontres, y compris avec des inconnus en France comme Harry Smith, génie reconnu notamment pour son anthologie de la musique folk américaine, qui fit autorité dès le début des Sixties…et lança le mouvement folk !
Les communautés misérables, le Chelsea Hotel à New York, mais aussi les virées dans les lieux cultes de la contre-culture américaine, où des soirées mondaines mémorables comme la grande soirée Glam Trash des New York Dolls au Mercer Art center, première pierre du punk américain en 1973. Chaque paragraphe fourmille de noms ou d’indications, de mécènes ou de monstres, d’évènements majeurs ou aussi ridicules que les aventures des Pieds Nickelés.
Miles n’est pas tendre avec les idoles : Dylan un peu usurpateur et usé, Ginsberg désordonné, pur produit du foutoir hippy, Burroughs snob et fascisant, Brion Gysin prétentieux et hédoniste et toutes sortes de groupies naïves branchées bouddhisme, zen et mantras magiques…
Et bien sûr dans cette farandole révolutionnaire, le sexe, les voleurs, les escrocs, les menteurs, les profiteurs, quelques tragédies – comme cette poignée de Weathermen (les Black Panthers blancs qui voulaient porter le Vietnam en Amérique, en posant des bombes : ce qu’ils ont fait) – se faisant sauter par accident en plein New York !
Et même après le punk, Miles transformé en rock critic pour le NME, roulant en limousine avec quelques survivants gâtés de la pop, au milieu de punks pauvres hurlant à la trahison, est un moment clé de bascule à la fin des années 70. Lucide, Miles décrit aussi les affres de l’addiction, à toutes les drogues, y compris l’alcool ou même la mégalomanie ou la mythomanie des victimes du LSD, weed, coke, héro, morphine et aussi ce speed, ces amphétamines en usage permanent aux US depuis les années 50, peut-être autant que l’herbe.
À travers ces chapitres sur chaque branche de l’underground, y compris la branche jet set, mécènes et autres milliardaires, c’est un portrait d’une génération qui est à l’œuvre, avec une seule inconnue : pourquoi tant de révolte, de délire, d’attitudes suicidaires ou masochiste ?
Car aux US c’est sous le signe de la violence qu’eut lieu la soi-disant révolution hippie, le Flower Power, mais surtout les expérimentations extrêmes, tout ce qui fit beaucoup de dégâts. On pourrait écrire un livre sur ce livre. Mais il faut connaître les détails et les protagonistes de cette génération mythifiée (Miles donne : de 1963 avec les Beatles jusqu’au punk de 1977), car on ne révise jamais assez les histoires de l’avant-garde, si souvent mal comprise, quand ce n’est pas carrément trahie par de mauvaises interprétations.
In the Seventies. Aventures dans la contre-culture, par Barry Miles, Éditions Castor Music (Castor Astral), 254 pages, 20 euros