Sélection printanière de bd par notre contributeur D.B.
Lewis Trondheim devient inquiétant de talent et roublardise. On va finir par l’imaginer à la tête de son atelier Mastodonte comme un envahisseur au doigt levé venu sur notre terre pour dominer son media. Lui qui n’était pourtant au départ qu’un non-dessinateur sera passé par toutes les étapes de la reconnaissance pour devenir maintenant aussi un grand scénariste capable, avec la productivtié d’un Raoul Cauvin, de s’adapter à tous les genres, tous les styles et de pondre un scénario à chaque fois classique et suffisament orignal pour être tout de suite addictif. Le polar londonien « Fish & Chips » Maggy Garrisson (chez Dupuis) dessiné par Oiry est un petit bijou de réalisme et de simplicité. Et si on sait comment Oiry dessine aussi bien l’Angleterre (il a imposé le décor à son scénariste), on se demande en revanche comment ce même scénariste, Trondheim donc, brosse avec autant d’aisance un portrait de femme. Il vit dedans ou quoi ? La piste extra terrestre se confirme.
Loin d’une fille fauchée et un peu loose, le héros de polar 60’s de la tradition franco-belge du Journal de Tintin, était plutôt un bel homme riche et sans défauts. Grosse sortie le retour de Ric Hochet (au Lombard), best seller, 15 millions d’exemplaires vendus quand même, bénéficie d’une reprise en main 2015. Zidrou et Van Liemt aux commandes c’est, curieusement, assez joli et frais, alors que le rayon reprise des classiques est généralement un champ de ruine stérile juste bon à fournir des dividendes post mortem aux ayants droits. Mais Ric Hochet ce n’est pas non plus du Hergé ou du Franquin, on ne risque pas trop le sacrilège, et quand et le dessin et le scénario sont de qualités, on ne boude pas son plaisir.
Loin de ces incestueux procédés franco belges, mais aussi loin des comics US et des mangas Japonais, la bande dessiné est aussi un langage mondial. C’est du Brésil que nous vient Mes Chers Samedis (Editions Cà et Là) de Marcello Quintanilha, recueil de sketchs grincants « à l’italienne », entre léger fantastique et réalisme social d’un pays qui en ressort encore plus mystérieux – qu’est ce qu’il se passe exactement dans les bidonvilles ? Le dessin est assez étonnant, un peu Corben ou Gir, voir Liberatore, y a même un petit côté Jean Solé, une référence pas courante. Recommandé.
Et tout aussi recommandé, le total inverse avec Junker (chez Cambourakis), bande dessiné froide et glaçante du flamand Simon Spruyt, qui nous embarque dans une Prusse d’hiver au début du XXème siècle, entre école militaire et artstocratie déchue. L’ouvrage, un poil précieux dans son récit, est d’une beauté stupéfiante, quelque part entre Chris Ware pour le découpage et (surtout) Darwyn Cooke dans le trait (en fait dès qu’un type fait un truc un peu ligne claire je cite Darwyn Cooke comme influence, j’essaye de placer Darwyn Cooke à chaque chronique). Bref – Junker c’est splendide, magnifique, bravo. Objet du mois.
Bande-dessinée qui n’a pas toujours besoin d’avoir un langage, c’est (l’autre) art muet par excellence, et après « Un Océan d’Amour » best seller surpise de la fin 2014, Grégory Mardon propose lui aussi un long récit ( 220 pages), L’Echappée (Futuropolis), sans un dialogue, et là encore, la lisibilité est parfaite. Et puis le trait est un petit peu Darwyn Cooke, par endroit aussi, hein. On ne se refait pas.
Enfin on rappellera que l’auteur de ces lignes a aussi été fort touché par La Main Invisible de Frantz Duchazeau, et qu’il en parle ici.