Dans « Behind every great one », vous affrontez la charge mentale d’une femme au foyer.
Vous êtes dans la peau d’une femme au foyer, Victorine. Votre mari, Gabriel, est artiste peintre. Vous n’avez pas spécialement de passion, mais vous soutenez à fond votre mari…
Voici Behind every great one, un jeu vidéo que vient de sortir le studio DeconstrucTeam, en téléchargement gratuit, et uniquement sur PC. Un mini-jeu hyper lo-fi, dont le titre du jeu détourne cette expression consacrée selon laquelle derrière chaque grand homme il y aurait une femme dans l’ombre. Le studio DeconstrucTeam s’était déjà illustré avec The Red Strings Club, un jeu narratif cyberpunk mettant à l’honneur marginaux et weirdos.
Dans Behind every great one, vous devez chaque jour remplir un certain nombre de tâches ménagères. Vous avez aussi le choix parfois de vous détendre, de lire, de fumer une clope…. Sauf que chaque jour est trop court pour effectuer toutes les actions : faire le ménage, arroser les plantes, faire la lessive, préparer le dîner…et plus vous choisissez de prendre un instant pour vous, plus vous prenez du retard sur les tâches ménagères. Les tâches s’accumulent, et la pression monte progressivement. Votre mari vous aime, il vous en veut pas, mais il vous fait remarquer dans des dialogues extrêmement précis et réussis, que sa chemise n’est pas propre, que le dîner n’est pas prêt. Alors que lui travaille dur, et que bien sûr, sans vous, il ne serait rien.
La pression monte, la pression monte, l’atmosphère devient suffocante. Votre champ de jeu se restreint, votre marge de manœuvre se réduit et il n’y a pas d’issue.
Impossible de gagner
Behind every great one s’inscrit plus largement dans une famille de jeux militants dont l’intérêt principal n’est pas le dénouement ou la réussite, mais la narration et la démonstration politique : ici, la charge mentale des femmes. En mettant le joueur dans une situation impossible à résoudre, ils montrent la fatalité. Si l’on ne change pas de système, il n’y a pas d’issue.
Certains studios se sont spécialisés dans ces jeux militants. Gonzalo Frasca est un théoricien et game designer uruguyen connu pour en être devenu un spécialiste.
Il a notamment construit des petits jeux auxquels vous pouvez jouer en ligne et auxquels vous ne pourrez pas gagner, c’est impossible, comme September 12, un jeu post 11-Septembre.
Vous êtes dans la peau d’un soldat américain qui bombarde un village au Moyen-Orient et vous devez viser des terroristes. Le viseur est très imprécis et à chaque frappe, des civils sont tués, on entend des mères pleurer. Les talibans se multiplient à chaque frappe jusqu’à occuper l’ensemble du village et de l’écran. Plus vous jouez plus vous perdez.
Autre jeu de Gonzalo Frasca : Madrid. Un jeu post attentat dans la capitale
espagnole. Des personnages tiennent des bougies commémoratives et des t-shirts avec toutes les villes victimes d’attentats : vous devez cliquer sur toutes les bougies pour qu’elles ne s’éteignent pas. C’est un effort constant et infini de maintenir la flamme allumée, dès que vous lâchez, la flamme s’éteint et vous avez perdu.
Les talents de Gonzalo Frasca ont été employés par la campagne présidentielle du démocrate américain Howard Dean en 2003, en créant le premier jeu vidéo de campagne officiel, sans succès comme on le sait, ainsi que par le président uruguayen Tabaré Vasquez en 2004, avec plus de réussite.
Radical games
Le studio italien Molle Industria revendique, lui, produire des jeux vidéo « radicaux ». La plupart sont féministes, anticapitalistes, anticléricaux ou antimilitaristes. Tous ne sont pas impossibles à gagner, mais tous sont une forme d’invitation à la révolution.
Dans Dogness par exemple, vous êtes un troupeau de chiens dans un enclos fermé par des murs, et vous devez obtenir la meute la plus homogène et pure possible en maîtrisant la reproduction et l’immigration…
Vous pouvez être manager d’entreprise, pilote de drone militaire, employé à McDonald’s ou à l’usine, prêtre pédophile… Une multitude d’options et de jeux pour toujours plus de fun. Et à chaque fois le message est assez clair. Dans Orgams simulator vous êtes dans le corps d’une femme qui doit simuler un orgasme pour satisfaire l’ego et la virilité de son partenaire.
Mais leur chef-d’œuvre est sans doute Every day the same dream, un jeu hyper sombre dans lequel vous êtes un travailleur qui tous les jours fait le même rêve : tous les jours vous allez au bureau avec le même rituel, vous enfilez le même costume, prenez le même chemin et à chaque fois que vous arrivez au bureau, vous vous réveillez dans le même lit et la journée se répète à l’infini. Essayer de prendre des libertés et de faire sortir votre personnage du chemin tout tracé, vous verrez, c’est impossible de vraiment gagner….
Visuel : (c) Behind every great one