La chronique de Jean Rouzaud.
J’ai un peu honte de ne pas connaître Bernard Charbonneau. Une sorte de socio philosophe, réformateur de nos sociétés malades et qui nous avait prévenu depuis les années 30, sur les risques d’une productivité sans limites !!!
Lanceur d’alertes
Presque un siècle pour écouter et comprendre cet ancien professeur d’histoire géographie du sud ouest de la France, qui a fait école avec Jacques Ellul (lui aussi lanceur d’alertes à la même époque).
Le petit livre qui porte son nom, sorti aux éditions du Passager Clandestin, nous permet de rattraper notre retard sur cette histoire des idées que le monde ne voulait pas entendre. Mais nous n’avons plus le choix !
C’est en 1935 que, dans leur vingt-cinquième année, Charbonneau et Ellul, ont écrit leur premier manifeste contre la production à marche forcée des sociétés dites développées…Les deux gascons avaient raison.
La logique tue l’intellect et la sensibilité
Charbonneau avait parfaitement saisi que si nos sociétés ne deviennent qu’économiques, que productives, qu’industrielles, elles dépersonnalisent le travail : la logique tue l’intellect et la sensibilité !
Des armées de travailleurs spécialisés, n’ayant plus rien à espérer qu’une réduction des horaires, par ailleurs combattue par des heures supplémentaires consenties pour acheter plus de biens de consommation (travailler plus pour gagner plus ? Vieille illusion).
Même l’élite est prise à ce piège : pour son standing, le riche con doit avoir séjours de luxe, véhicules haut de gamme, signes extérieurs chics, accessoires de mode, et le voilà pris au piège comme les autres…(il ne peut acheter ni le temps, ni l’espace, ni la diversité réelle du monde, il est confiné dans d’autres ghettos, ennuyeux et quantitatifs).
La technologie, illusion de la toute-puissance
Charbonneau a aussi pigé que la technologie était l’illusion de la toute- puissance : une voiture, un bateau, un avion privé…(sources de perte et d’emmerdements constant) et maintenant un appareil portable qui apporte tout et rien, un hyper choix de sons, d’images, de contacts ingérables…
L’illusion parfaite de l’ubiquité et de la richesse sur un petit écran nocif (ondes électro magnétiques, coût de chaque clic…), et finalement très gourmand en temps et en argent pour l’utilisateur fasciné.
Ces réseaux à disposition ont un effet boomerang désastreux : insultes, détournements d’images privées, accusations mensongères, arnaques et fausses informations, trucages de toutes sortes.
Normal, puisque la direction prise est mauvaise. La technique de production – consommation n’a pas été régulée. Comme le mythe de Sisyphe, nous devons sans cesse gagner ce que nous perdons, et refaire ce que nous cassons, les pieds pris dans nos déchets.
La société en surchauffe n’arrive plus à tout contrôler : notre monde devient un chantier permanent ou l’on ne vit plus, on tente juste de « gagner sa vie », entouré de gravats et de matériaux.
La production est devenue un culte et la technologie un mythe, à honorer comme sauveur d’une humanité en perdition. Quant à l’écologie, elle ne sera respectée que par la force, avec barbelé, miradors et gardes (Norman Spinrad, l’auteur de science fiction, m’avait dit la même chose).
On est loin de la liberté promise par le « progrès » ! Des machines , de plus en plus grosses, goinfres, ravageuses de nature, réclamées par des ingénieurs apprentis sorciers, qui s’en serviront le temps d’une étincelle, jusqu’à l’obsolescence rapide.
Charbonneau pense à des machines pour pauvres : petites, maniables, dégageant du temps gagné et de l’espace, et même du silence !
Le travail peut être un Art, procurant des résultats meilleurs et des objets plus réussis et pensés pour une meilleure vie. Bernard Charbonneau (1910-1996) est l’un des critiques les plus précoces de la croissance technique et économique indéfinie.
En réalité, il faut redéfinir les priorités du monde, et notamment surveiller à l’avance les « effets » de nos économies et de nos techniques. Il propose aussi des solutions comme le travail manuel, l’artisanat et d’autres réflexions, dont celle-ci, à propos du tourisme : « nous ne voyageons pas, nous déplaçons notre inquiétude…»
Bernard Charbonneau. La critique du développement exponentiel présenté par Daniel Cérézuelle. Éditions le Passager Clandestin, collection Les précurseurs de la décroissance. 105 pages. 8 euros. Chez le même éditeur vous trouvez les autres précurseurs de l’écologie, du développement durable et autre permaculture comme Serge Latouche, Jacques Ellul, André Gorz, reliés à d’autres penseurs plus anciens et classiques : Jean Giono, Leon Tolstoi, Charles Fourier, Lanza del Vasto, Diogène, Jean Baudrillard, George Orwell…