Elle parlait ouvertement de la condition des femmes noires, de prostitution, de sexualité. Betty Davis est l’autrice de plusieurs albums cultes, comme ce « They Say I’m Different ».
Disons-le tout de suite, il y a des noms injustement minimisés dans l’histoire de la musique : Betty Davis en est un. Évacuons l’éléphant au milieu de la pièce : oui, elle porte ce nom car elle a été un temps conjointe de Miles Davis le temps d’un an en 1968 ; non, c’est loin d’être l’information la plus importante de sa biographie (même si c’est elle qui a initié la période fusion du jazzman, avec l’immense Bitches Brew).
Betty Davis fait partie de ces icônes qui incarnaient par leur présence même, par leurs attitudes et leurs façons d’être, l’émancipation. Mannequin, musicienne, elle osait parler de sexe, vivre pleinement avec son corps, le montrer sur scène. Ou comme le résumait Carlos Santana : elle était « indomptable — elle ne pouvait être dominée. Musicalement, philosophiquement et physiquement, elle était extrême et fascinante« . En voici la preuve.
Built like no one else
They say I’m different
Betty Davis, They Say I’m Different (1974)
And that’s why they say I’m strange
And that’s why they say I’m funky
They Say I’m Different est le deuxième album de la carrière de Betty Davis. C’est un bijou de funk.
Groove sec et influences psychédéliques de l’époque font danser les jambes, pendant que les cris rauques riches en parlé cru de Betty s’attaquent au reste. Viscéral.
L’album ne rencontre pas le succès qu’il aurait dû, trop avant-gardiste et radical dans sa démarche. Il faut dire que la critique regardait la musicienne d’un mauvais œil. Un an auparavant, en 1973, elle sortait Betty Davis, son premier album, qui fut suivi d’un concert au Bottom Line à New York. Le public est scandalisé. Short, bottes longues, désinvolte dans ses textes et sa présence sur scène, Davis tranche avec les mœurs de l’époque et choque le public blanc ainsi que les associations conservatrices noire-américaines.
« Silk and satin and lace »
Si on n’en lisait que les paroles, on pourrait croire que They Say I’m Different est un disque caché de Riot grrrl, ce mouvement punk féministe des années 90 de Washington D.C. Betty Davis porte fièrement ses désirs et sa couleur de peau.
Avec « He Was Big Freak », elle fait ouvertement référence au SM, et commente à quel point son amant — a priori, on ne parle PAS de Miles Davis — est freaky. Sur « Don’t Call Her No Tramp », elle évoque la prostitution ; la National Association for the Advancement of Colored People — une association conservatrice de défense des noirs américains — considérait d’ailleurs le titre comme renvoyant une image dégradant pour les femmes noires. Et sur le morceau-titre, elle inscrit sa singularité dans la longue lignée du blues.
Nasty gal
They Say I’m Different ne se démarque pas uniquement par son contenu, mais aussi pour sa production. C’est en effet Betty Davis qui compose et produit tout l’album : elle a un contrôle total sur son œuvre, chose rare pour une femme à l’époque.
Malgré tout, l’album ne fait pas les ventes escomptées lors de sa sortie. Il est quand même suivi de Nasty Gal en 1975, mais est, lui aussi, un relatif échec commercial : Betty Davis met donc fin à sa carrière — il faut dire qu’elle n’a reçu aucune royalties sur ses disques, puisque l’ASCAP, l’équivalent de la SACEM aux US, n’avait plus son adresse.
Ce n’est que plusieurs décennies plus tard, en 2007, que le label Lights In The Attic réédite They Say I’m Different. Le grand public redécouvre cette véritable icône, et le disque reçoit les louanges qu’il mérite. La chanteuse reprend donc du service, et sort même Is It Love or Desire? un disque qui était censé paraître en 1976, mais finalement jamais sorti. Puis en 2017, un documentaire, Betty : They Say I’m Different, part à sa recherche et raconte ses 35 ans d’absence à vivre dans la pauvreté loin des caméras.
Betty Davis s’éteint finalement en 2022, à l’âge de 77 ans. Elle reçoit de nombreux hommages mérités, parmi lesquels celui de Bintou Simporé dans son émission Néo Géo.