Mehmet Aslan et ڭليثر Glitter٥٥ collaborent sur un projet inédit, expérimental, multimédia. Rencontre.
Samedi 11 septembre. Nantes (Naoned en breton !) est un peu plus animée que d’habitude. C’est la période du festival Scopitone. Créé en 2002, il se veut transdisciplinaire et s’est imposé comme un classique dans cette ville. Un nom a attiré notre attention : Bird Signals for Earthly Survival, la performance de Mehmet Aslan (DJ et producteur turco-suisse résidant à Berlin) et de ڭليثر Glitter٥٥ (artiste engagée et DJ marocaine, vue à la tête des soirées Fissa).
Un projet pluridisciplinaire mélangeant musique électronique et arts numériques et visuels, sur lequel nous revenons avec le duo qui sort alors à peine de scène. Il est 23h. Bonsoir Mehmet, bonsoir Manar.
Comment le projet Bird Signals for Earthly Survival s’est-il créé ? On pourrait croire que vous l’avez spécialement pensé pour Scopitone.
Mehmet Aslan : La création du projet a commencé l’année dernière, en collaboration avec Arty Farty (le promoteur de Nuit sonores et Le Sucre, NDLR). J’ai joué pour la première fois au festival Nuits sonores à Lyon il y a 4 ans, depuis j’y vais chaque année. J’y ai des attaches et des amis.
Je suis venu avec des démos, ils m’ont proposé une résidence où j’ai pu imaginer un show pluridisciplinaire.
Tout comme l’album que je prépare, l’idée est de parler de mon héritage, de mes parents qui viennent de Turquie (de la province d’Uşak) , de mon enfance en Suisse. Quand j’étais petit, on allait souvent en bateau en Turquie depuis l’Italie, pour aller voir notre famille, nos amis. On ne s’arrêtait jamais ni en Italie ni autre part pour visiter, on n’avait pas ce luxe.
D’une certaine manière, j’ai donc voulu retracer ce voyage. Mais avec la pandémie, c’était compliqué de le faire concrètement. J’aurais aimé faire du feel recording aussi, mais c’était impossible. Je me suis donc entouré d’artistes, on a gardé l’idée de migration y incorporant du spoken words, de la musique et des images.
Comment vous êtes-vous rencontrés et quand avez-vous commencé à travailler ensemble sur le projet ?
ڭليثر Glitter٥٥ : On s’est rencontré il y a quatre ans au Contre-temps Festival à Strasbourg. Après ça, Baptiste de Nuits sonores m’a parlé du projet avec Mehmet. J’étais très intéressée et on a commencé à travailler ensemble.
Mehmet Aslan : Manar (le prénom de ڭليثر Glitter٥٥, NDLR) a commencé à écrire des textes, je lui envoyais des sons, on échangeait par internet.
On travaillait vraiment sur la partie musique. La partie visuelle, je la travaillais avec Stratis Vogiatzis (vidéaste, photographe et anthropologue grec) il m’a montré des photos, on a composé l’histoire, il a été une source d’inspiration pour moi sur la relation entre les animaux et les humains. Il a vraiment ouvert une porte.
On plante la petite graine dans le cerveau des gens
ڭليثر Glitter٥٥
Manar, on est plus habitué à te voir mixer. Dans ce spectacle, tu chantes et tu parles…
ڭليثر Glitter٥٥ : Je suis vocaliste aussi, mais là, c’est vrai que je chante en live, sur scène. Les premières fois, j’étais vraiment stressée. Aujourd’hui, c’était plus fun et on a vraiment apprécié.
Mehmet Aslan : Le spoken words permets la liaison entre l’image et la musique. Il peut permettre de faire passer un message. Quand le projet est contemplatif comme l’est Bird Signals for Earthly Survival, il faut des mots qui expliquent, qui te permettent de réfléchir. Il ne faut pas trop en dire non plus, mais donner l’idée.
ڭليثر Glitter٥٥ : Comme on dit en français « on plante la petite graine dans le cerveau des gens« . Dans le show, je parle aussi en arabe. Je parle d’immigration, de personnes qui essayent de traverser des frontières, qui échouent, qui meurent. C’est une métaphore avec la figure de l’oiseau migrateur.
En dehors de ce projet collaboratif, vous avez également chacun des projets solo… Quelles nouvelles de ces projets ?
Mehmet Aslan : Je travaille en ce moment sur un live avec mon projet Mehmet Aslan. Je veux faire un vrai live et y introduire des guitares, par exemple. Je travaille aussi sur un album. J’ai un peu mis le projet de mon label (Fleeting Wax, mené avec Miajica d’Alma Negra, NDLR) de côté. Je pense qu’il faut faire les choses les unes après les autres, de pas tout faire en même temps.
ڭليثر Glitter٥٥ : De mon côté, je tourne beaucoup en ce moment, c’est cool ! Je finalise mon premier EP avec un ami. On l’a dernièrement travaillé en résidence. On l’a commencé il y a un an et demi à Marseille, on l’a quasiment fini à Bruxelles, on le termine à Paris au Château Éphémère. On va sortir sept tracks.
On va aussi reprendre les soirées Fissa qu’on avait commencé avant le confinement. J’ai aussi monté un show avec une danseuse au Sucre de Lyon. Je monte un show chorégraphié en danse contemporaine.
Plein de projets donc ! Je voulais aussi vous montrer ce tee-shirt, acheté à Istanbul (c’est un tee-shirt à l’effigie d’Erkin Koray, l’une des grandes stars du rock en Turquie).
Ah, bravo ! Erkin Koray est une vraie star ! Je l’adore ! D’ailleurs en parlant « rock », j’ai des amis en Turquie qui font du rock psyché instrumental ça s’appelle Ayyuka !
Et toi Manar tu aimes le rock aussi ?
J’ai écouté du rock anglais pendant très longtemps. Les disques de Fortuna Records, aussi. En fait, j’écoutais du rock avant d’écouter de l’électro. J’avais 13 ans la première fois que j’ai donné un concert. C’était dans un bar, je faisais des reprises d’AC/DC et d’Amy Winehouse !
Au Maroc, on a beaucoup de groupes de rock. Comme Hoba Hoba Spirit, le meilleur groupe marocain, qui tourne un peu partout. Un peu cliché comme groupe, mais il m’a tellement animé pendant mon enfance. Un groupe de fusion qui tourne jusqu’en Amérique, c’est aussi un de mes premiers concerts.
D’ailleurs en parlant rock, est-ce que tu considères le film Marock comme un classique de ton adolescence ? Comme le film LOL (Laughing Out Loud, sorti en 2009) a pu l’être aussi pour toute une génération à cette époque ?
Mais oui bien sûr ! Je suis parti du Maroc il y a 10 ans, mais ce film représente vraiment ma vie. Ce film, je l’ai vu et je l’ai vécu. J’ai eu la même vie que le personnage principal du film, j’ai perdu beaucoup d’amis dans les mêmes situations que ce film, sans vouloir spoiler.
Quand c’est sorti, pour nous, c’était notre vie. On pouvait enfin s’identifier à une œuvre cinématographique. Le cinéma marocain peut-être assez spécial, expérimental, beaucoup moins dans la réalité.
Quand Marock est sorti, c’était vraiment tabou, ça a été censuré, alors que toute une jeunesse se reconnaissait dans le film.
Il y a eu Muchlove aussi, un film sur la prostitution au Maroc, par Keshish. Comme il était censuré, j’ai regardé la version non-montée, je me suis tapé cinq heures de rush. Je m’y reconnaissais beaucoup aussi, même identification en mode, mais oui, c’était la personne à côté de moi, on a traîné en club ensemble, on a vécu les mêmes choses, et enfin on en parle dans un film, je recommande.